Titulaire au Milan depuis octobre 2015 sous l’impulsion du Mister d’alors Siniša Mihajlović, Gianluigi Donnarumma a longtemps été un motif d’orgueil et de satisfaction pour l’ensemble du microcosme rossonero. En effet, il était difficile de croire que ces parades somptueuses et décisives furent l’apanage d’un gamin de 16-17 ans, qui débutait alors au plus haut niveau du football italien. L’idylle entre le club lombard, où il avait été formé, et le joueur semblait partie pour durer longtemps, comme en témoignait cet opportun arrêt réalisé face à Paulo Dybala à Doha, lors de la séance de tirs au but de la Supercoppa 2016.
Pourtant, les liens de cet amour indéfectible entre le gardien et son peuple commencèrent à se dénouer à l’été 2017… Depuis, Donnarumma ne semble plus le même : sa progression s’est arrêtée, sa capacité à être décisif a fondu comme neige au soleil au point de devenir un gardien parmi tant d’autres… Si son avenir n’est toutefois pas définitivement compromis, puisqu’il n’a – rappelons-le – que 19 ans (!), cette saison 2018-2019 qui vient de débuter sera une année charnière pour lui-même et pour le Milan. Tant d’un point de vue sportif qu’économique, le club lombard va avoir besoin du véritable Donnarumma, et ce pour plusieurs raisons.
Revenons tout d’abord sur les événements ayant précipité la chute linéaire de l’enfant chéri. Il y a un an, Gianluigi Donnarumma et son clan offraient au monde rossonero un spectacle pathétique dont le Milan se serait particulièrement passé, à l’aube d’une première – et unique – saison sous pavillon chinois, qui se voulait être celle du renouveau. Le jeune portier italien, en refusant dans un premier temps de prolonger son contrat qui arrivait à terme en juin 2018, torpilla ainsi sa saison de la plus belle des manières, comme le laissait entrevoir son Euro passé avec la Nazionale U21 en Pologne.
Finalement, la direction rossonera s’était couchée devant les exigences de son joueur et de son grotesque agent Mino Raiola. Gianluigi Donnarumma prolongea donc son contrat en échange d’un salaire de six millions d’euros annuels nets – ce qui en faisait alors le deuxième gardien le mieux payé au monde – jusqu’en 2021 et du recrutement de son frère Antonio, gardien de l’Asteras Tripolis habitué au banc du Genoa, pour que celui-ci devienne le troisième portier de l’effectif rossonero avec un salaire d’un million d’euros annuels nets. Les apparences étaient économiquement sauves pour le Milan mais l’institution glorieuse que représentait il n’y a encore pas si longtemps le club lombard était une nouvelle fois mise à mal par un gamin – aussi doué soit-il – de 18 ans seulement.
Chez ACM-Z, nous craignions d’ailleurs que le peuple rossonero souffrit d’une regrettable amnésie collective à l’égard d’un joueur qui s’était allégrement essuyé les crampons sur son soi-disant club de cœur : cela ne manqua pas puisque dès le match retour du troisième tour préliminaire d’Europa League disputé à San Siro à l’été 2017 devant 65000 personnes, Donnarumma fut chaleureusement applaudi, sans la moindre trace de contestation. De même, il devint impossible de critiquer les prestations du numéro 99, au risque de se faire vertement interpeller. Pourtant, le curseur de tolérance s’était déplacé à la hauteur de revalorisation salariale du joueur : il fallait en finir avec la bienveillance quasi paternaliste envers le jeune et sympathique talent issu de la Primavera pour passer à l’analyse des performances du deuxième gardien le mieux payé au monde.
Les occasions ne manquèrent pas, tant le joueur lui-même et son clan tendirent le bâton pour se faire battre, comme au mois de décembre où l’on apprenait que le pauvre Donnarumma avait subi des « pressions psychologiques » de la direction rossonera pour signer sa prolongation de contrat à six petits millions d’euros… Cet épisode eut au moins le mérite de réveiller une très large partie de la tifoseria milanaise aveuglée par le talent de son jeune prodige. Finalement, la réconciliation allait et venait, au gré des bourdes et parades du 99, mais aussi des apparitions du clan Raiola dans les photos et vidéos partagées par le joueur sur ses réseaux sociaux.
#Donnarumma #Raiola
Ieri , Oggi e Domani !!— Gianluigi Donnarumma (@gigiodonna1) 25 juin 2017
Car oui, dorénavant, Donnarumma commet des bourdes, ce qui ne lui était quasiment jamais arrivé entre 2015 et 2017. Enfermé dans son costume de titulaire au vu d’une concurrence inexistante incarnée par le vieillissant Marco Storari et le faiblard Antonio Donnarumma, Gigio a sans aucun doute pris sa position comme acquise, se laissant vivre tranquillement. Après des années de progression, il a en effet stagné, se montrant incapable d’afficher une quelconque progression sur ses deux points faibles : le jeu au pied, essentiellement, et le placement, dans une moindre mesure. Sur ce dernier aspect, il pourrait même avoir régressé tant il s’est parfois fait bêtement avoir du fait d’une mauvaise position, comme lors du match aller face à la Juventus en octobre dernier à San Siro, sur le deuxième but de la soirée inscrit par son nouveau coéquipier Gonzalo Higuaín, ou tout récemment lors de la pathétique défaite sur la pelouse du Napoli, où son placement est pour le moins douteux sur les deux derniers buts des locaux.
Si ces erreurs sont parfois discutables et ressortent d’une appréciation plus globale de l’action et de torts partagés (à l’instar du manque de communication évident entre Bakayoko et lui sur le deuxième but de Zieliński), d’autres sont clairement pour sa pomme et ont eu des conséquences évidentes. A ce titre, comment ne pas parler du deuxième but d’Arsenal lors du match retour des huitièmes de finale d’Europa League, du second but giallorosso lors de la rencontre aller de championnat face à la Roma ou tout simplement deux des quatre réalisations de la Juventus en finale de Coppa Italia, alors même que le Milan montrait un visage intéressant ? Si, par le passé, Donnarumma a apporté de nombreux points à son équipe, voici maintenant plusieurs mois qu’il en coûte quelques-uns, dans une équipe en totale reconstruction et qui est dans un besoin urgent de résultats.
Un simple manque d’attention peut-il expliquer toutes ces erreurs ? Difficile à croire, tant on sait de quoi Donnarumma demeure capable, comme en atteste son sauvetage in extremis en toute fin de match face à Milik lors de la réception du Napoli en avril dernier. Le jeune portier italien semble s’être complu dans sa situation, celle d’un jeune à qui un des (ex) plus grands clubs du monde a offert un pont d’or pour le voir rester, qui plus est devenu international A grâce à ses précédentes bonnes performances. Parlons d’ailleurs de Nazionale, puisque Donnarumma a décidé d’exporter ses errances milanaises sous le maillot de la Squadra Azzurra lors du match amical face à l’Arabie Saoudite au mois de mai. Malgré la retraite internationale de Gianluigi Buffon, il n’est clairement pas certain que l’autre Gianluigi devienne le titulaire indiscutable des cages azzurre, alors même que ce destin lui semblait assuré avec ses performances de 2017.
Napoléon Ier, lui aussi salué triomphalement à Milan mais quelques années auparavant, lors des campagnes d’Italie de 1796-1797 et 1799-1800 alors qu’il n’était que Général puis Premier consul, disait dès 1791 : « Les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour illuminer leur siècle ». Donnarumma, lui, le gardien de même pas 20 ans au talent indéniable, est-il donc déjà cramé après seulement quelques mois au firmament ? Pour le bien du Milan, il faut espérer que non, même si une statistique emblématique illustre un certain déclin.
Lors de l’édition 2016-2017 du championnat, Donnarumma réalisait en moyenne 3,55 arrêts par match, alors que le Milan encaissait 45 buts. Or, la saison passée, cette moyenne est descendue à 2,12 seulement, pour un total de 42 buts encaissés. Ladite moyenne peut s’expliquer amplement par le fait que, quoiqu’on en dise, la charnière Romagnoli-Bonucci était autrement plus efficace que celle composée de Romagnoli et Paletta ou Zapata, mais la somme de buts quasiment identique laisse aussi penser que si Donnarumma avait tenu une moyenne équivalente à celle de la saison 2016-2017, quelques-uns d’entre eux auraient pu être évités. D’ailleurs, la moyenne d’arrêt de Donnarumma est inférieure à celle des gardiens des équipes concurrentes du Milan (Strakosha : 2,71 ; Berisha : 2,64 ; Sportiello : 2,62 ; Sirigu : 2,97).
Un soupçon d’optimisme peut toutefois poindre cette saison, malgré une première sortie napolitaine compliquée pour Donnarumma : la concurrence est enfin présente. Si l’on peut se poser de nombreuses questions sur l’intérêt financier de la venue de Pepe Reina, celle-ci n’est sportivement pas une hérésie. L’Espagnol n’est certes plus l’excellent gardien qu’il a pu être par le passé mais il est une solution crédible de remplacement en cas de défaillances répétées de Donnarumma (au contraire de Gabriel, Storari ou Antonio D. par le passé) de par son expérience mais aussi une saison globalement réussie au sein d’un Napoli proche de chiper le Scudetto à la Juventus. Il reste à espérer que Gennaro Gattuso ne se contentera pas d’aligner Donnarumma pour ce qu’il représente mais qu’il utilise véritablement la concurrence entre ses deux gardiens. De même, cette concurrence – si elle est instituée – sera forcément bénéfique pour Donnarumma qui sera obligé d’être à la hauteur pour défendre sa place de titulaire.
Le Milan a d’ailleurs tout à gagner à ce que Donnarumma soit titulaire et performant. Pour faire simple, il semble impossible que le club rossonero soit dans les quatre premières places qualificatives à la Champions League à l’issue de cette saison, tant l’écart important demeure avec les autres candidats et le mercato n’a pas suffi à combler les besoins premiers. Dès lors, l’absence de la lucrative Champions League va se combiner avec les prochaines sanctions du fair-play financier, ce qui risque fort de pousser le Milan à devoir vendre certains éléments l’an prochain. Or, parmi l’effectif, les joueurs véritablement ‘bankable’ ne sont pas légion. Parmi eux, Donnarumma est un élément de choix, de par son âge, son poste et son salaire. Le bon gardien devient rare et est donc cher. En faisant une excellente saison, les prétendants pourraient se bousculer à nouveau à la porte de CasaMilan pour s’en attacher les services, moyennant une somme intéressante pour un club soumis aux règles du FPF comme le Milan (à l’instar de Kepa Arrizabalaga, 23 ans, passé cet été de l’Athletic Bilbao à Chelsea pour 80M€ !). En outre, n’oublions pas que Donnarumma perçoit 6M€ annuels nets, soit près de 12M€ bruts qui pèsent tous les ans sur la masse salariale déjà pharaonique de ce Milan moribond.
Un retour en grâce de Donnarumma qui offrirait une coquette somme d’argent, combinée à une très belle économie de salaire : voilà ce qui permettrait de sauver la face d’un Milan coupable de s‘être couché pitoyablement devant Donnarumma il y a un an. Le club n’est d’ailleurs pas à l’abri d’un nouveau sketch mené par le joueur et son agent et il serait donc de bon ton de se passer de ce genre de turbulences dans une institution à reconstruire, au sein de laquelle Paolo Maldini a enfin trouvé une place. Donnarumma, par son attitude, a déjà suffisamment entaché l’image du Milan, à l’instar d’autres indésirables passés par le club dont il est préférable de ne pas énumérer l’interminable liste des noms.
En attendant un départ effectif au prochain mercato estival, gageons que le club saura trouver une solution permettant l’éclosion définitive d’Alessandro Plizzari, quitte à s’appuyer à très court terme sur Pepe Reina, sachant que le train Mattia Perin – sans doute le meilleur gardien italien à l’heure actuelle – a été bêtement manqué en juillet 2017… Au contraire, en cas de performances équivalentes à celles de l’année 2017-2018, Donnarumma deviendrait alors un boulet sportivo-financier pour le club rossonero.