En ce début d’année 2018, le romantisme bat son plein du côté de Milanello. Dans le froid sec du centre d’entraînement comme dans la tiède chaleur des logis lombards, un seul nom suffit à réchauffer les âmes et les cœurs de joueurs tire-au-flanc et de tifosi lassés par des années d’errance : celui de Gennaro Gattuso. Tout semble réussir au ténébreux brailleur de 40 ans : en effet, si son tout jeune Milan ne progresse guère au classement, les résultats s’avèrent positifs depuis le début de l’année civile, en témoignent les 11 matches consécutifs sans défaite de ses hommes, avant d’affronter la Roma. Une aubaine pour le Milan qui, en l’an I après Fininvest, multipliait les mauvaises prestations, symbolisées par les errements de la quasi-totalité des onze recrues de l’été 2017.
Alors même que l’effectif était intrinsèquement doté de plus de qualités qu’au cours des cinq dernières saisons, les résultats ne suivaient pas et la direction faisait donc le choix de nommer Gattuso – entraîneur de la Primavera depuis quelques mois – en lieu et place du trop souriant Vincenzo Montella. Pour la plèbe, cela n’était que pure folie ! Par quel raisonnement logique avait-on pu arriver à confier le banc du Milan à un technicien dont le seul fait d’arme était une promotion en Serie B avec l’AC Pisa ? Et pourtant, après des débuts chaotiques marqués par l’envolée au firmament d’Alberto Brignoli dans le ciel de la Campanie, Gattuso a mis fin aux critiques. Premier mouvement : reprendre la préparation physique de zéro, en mettant notamment fin au régime vegan imposé par son prédécesseur. Deuxième partie : abolir un 3-5-2 n’ayant jamais été travaillé, pour rétablir le 4-3-3. Troisième sursaut : délimiter un onze de titulaires quasi fixe, ce qui n’avait pas été fait par le barbier boucher de Séville, afin de stabiliser l’équipe.
En quelques semaines, les immondes vestes Diesel aux couleurs rossonere se sont retournées un peu partout, de manière plus ou moins rapide, laissant place à une approbation mielleuse de tous les choix faits et une délectation pernicieuse de toutes les déclarations tenues par San Ringhio di Corigliano Calabro. Dans la foulée de ce mouvement dégoulinant d’idolâtrie, la question qui devait se poser se posa : pourquoi ne pas prolonger l’expérience rossonera de Gennaro Gattuso au-delà du mois de juin, étant l’homme qui a su relever le Milan du marasme dans lequel il était englué ? Pour la vox populi, amen, que la volonté toute puissante de la culture de l’instant soit faite, qu’on le couvre d’or ! Parmi la chienlit ambiante, l’opinion contraire a bien du mal à se faire sa place… Pourtant s’opposer à une prolongation de l’homme qui cogne Riccardo Montolivo n’est pas forcément une mauvaise idée.
Il n’y a d’ailleurs pas à remonter bien loin, puisqu’il s’agit de s’arrêter à la première erreur de la direction du Milan version Rossoneri Sport Investment (la deuxième étant d’avoir cédé face au clan Donnarumma) qui remonte au 30 mai dernier : la prolongation de Vincenzo Montella. Fraîchement arrivés à CasaMilan, Marco Fassone et Massimiliano Mirabelli s’étaient rendus coupables d’avoir été bernés : bernés par une phase aller de la saison 2016-2017 qui avait vu le Milan terminer miraculeusement à la 3ème place (avant de s’effondrer de tout son poids lors de la phase retour), bernés par le trophée au rabais remporté à Doha en décembre 2016 par l’Aeroplanino, bernés par une qualification pour la petite coupe d’Europe obtenue au terme d’une course qui aura vu le Milan, l’Inter et la Fiorentina se faire des politesses et des courbettes pour ne pas avoir à jouer le jeudi soir, bernés par l’illusion qu’une équipe remaniée de fond en comble pouvait être tenue par un personnage comme l’ex entraîneur de la Sampdoria. Au lieu de laisser Montella faire ses preuves avec sa deuxième année de contrat prévue initialement, les dirigeants avaient donc choisi de lui en offrir d’emblée une troisième, cadeau de la maison.
Pourtant, si l’on s’intéresse au bilan des premières semaines de Montella a la tête du Milan, les résultats ressemblent étrangement à ceux connus par Gattuso depuis sa nomination, avec onze journées de championnat. Lors de la saison 2016-2017, le Milan à la sauce Montella avait enregistré 7 victoires (dont une contre la Juve avec des circonstances arbitrales favorables), 1 nul et 3 défaites (face au Napoli notamment). Déjà à l’époque, le nouvel entraîneur rossonero était porté aux nues grâce à ce bilan plutôt flatteur… et l’on connaît malheureusement la suite ! Présent sur le banc depuis la 15ème journée de Serie A, soit 11 matches, Gattuso a connu 6 fois la victoire (dont une face à la Lazio), 3 fois le partage des points et 2 fois la défaite. Nouveau bilan flatteur, nouvel enthousiasme démesuré : la clé pour obtenir une prolongation ?
Face à la gangrène qu’incarne la culture de l’instant, il faut savoir raison garder. Si Gennaro Gattuso s’est déjà offert le scalp de la Lazio en championnat, cela constitue pour le moment la seule victoire face à un adversaire relevé dans la course à la petite (ou à la grande, pour les plus atteints par le mal précité) coupe d’Europe. La fin du mois de février et l’intégralité du mois de mars seront le véritable révélateur des capacités de l’ex numéro 8 rossonero. En effet, vont s’enchaîner dans les 5 prochaines semaines les réceptions de l’Inter, d’Arsenal, du Chievo et les déplacements sur les terrains de la Roma, de la Lazio, du Genoa, d’Arsenal et de la Juventus. Bref, des rencontres qui auront indéniablement un impact sportif et financier sur la saison 2 du Milan chinois.
Dans un mois, tifosi et dirigeants auront des éléments supplémentaires pour juger de la légitimité de conserver Gennaro Gattuso sur le banc du Milan pour l’exercice suivant. Si tout semble lui réussir pour l’instant, Ringhio aura-t-il les épaules suffisamment larges pour porter un Milan aux ambitions démesurées ? Ne faudra-t-il pas confier le bébé à des mains plus expertes, comme celles d’Antonio Conte, dont le départ d’Angleterre est acté ? Si vous le voulez bien, revoyons-nous dans un mois pour tenter de répondre au moins en partie à la première question. La seconde se posera lorsque l’on saura ce que Gattuso a véritablement dans le ventre.