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Messieurs les dirigeants : à vos marques, prêts, formez !

Dimanche dernier, la plus belle des compétitions internationales a pris fin avec la victoire de l’équipe de France au dépend de la Croatie et ses 4 millions d’habitants. Une victoire parlante et qui a fait du bruit, tant sur le sol français que dans le monde entier. Emmené par une équipe très jeune (la France est d’ailleurs l’un des vainqueurs avec la moyenne d’âge la plus basse depuis de nombreuses années), ce résultat a eu le mérite de poser certaines questions, à laquelle nous allons essayons d’énoncer quelques réponses et hypothèses.

En effet, le mondial russe a également été marqué par l’absence de la Squadra Azzurra, une première depuis soixante ans. Manque de talent, génération gâchée, gestion grotesque, sélectionneur incompétent ou fédération abominable, tous sont allés de leur explication pour tenter de donner des raisons expliquant une telle débâcle. A notre niveau, nous nous focaliserons sur la formation des joueurs, à l’heure où l’Italie compte une nouvelle fois sur le Milan, un des principaux centre de formation, pour lui fournir le plus de joueurs de qualités.

 

 

Problème de formation, ou de « post formation » ?

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Le titre de notre article est provocateur et volontairement questionnant, mais dans le fond, est-ce réellement un problème de formation qui frappe l’Italie depuis des années ? Pas réellement. Il faut savoir que l’on parle de formation dès lors qu’un jeune rentre dans un centre de formation et rentre dans le moule de l’institution qui prend en charge toutes les parties de sa formation. Ainsi, est-ce que l’Italie, les clubs italiens – et par ricochet la formation milanaise – sont en retard sur leurs voisins européens ? 

On aurait tendance à penser que oui à la vue des équipes nationales, pourtant lorsque l’on se penche sur les performances des équipes nationales chez les jeunes joueurs, le problème ne vient pas forcément de là. Pour illustrer cette réflexion, prenons ainsi la compétition phare des sélections nationales de jeune, le championnat d’europe des moins de 17 ans.

En plein durant leur formation (il est en effet très rare de voir des jeunes de 15 ou 16 ans passer professionnel), il est un indicateur clair de comparaison pour se jauger face aux autres grandes nations européennes puisque, si l’échec d’une année (les Euro U17 ont lieu chaque année) n’est pas alarmant, les échecs répétitifs d’une nation n’arrivant pas à se placer parmi les huit meilleurs sélections de la catégorie poseraient question.

Or, l’Italie (et donc l’AC Milan) ne figure clairement pas parmi les bonnets d’âne de cette catégorie. Auteur de deux finales et de deux demi finales sur les dix dernières éditions, l’Italie a un bilan somme tout correct. Concernant les autres nations, si l’on peut constater une forme impressionnante de nations telles que les Pays Bas ou surtout l’Angleterre (constamment dans les huit meilleurs depuis 5 ans), il n’existe aucune sélection marquant sa supériorité face aux autres. La comparaison avec la sélection tricolore est d’ailleurs parlante. Sur les dix dernières éditions, la situation France/Italie est équivalente.

Pour autant, dans chacune des deux nations, nous pouvions déjà observer quelques jeunes talents. En atteste la présence de Alexandre Lacazette en 2008, Paul Pogba/Samuel Umtiti en 2010, Adrien Rabiot en 2012 ou encore Ousmane Dembele en 2014 coté Français, alors que nous voyons dans le même temps Mattia Perin/El Shaarawy en 2009, Andrea Conti en 2011, Alessio Romagnoli/Bryan Cristante en 2012 ou bien encore nos actuels jeunes Donnarumma, Cutrone & Locatelli en 2015.

De ce fait, une seule chose nous vient à l’esprit : comment ? A quel instant les purs produits des clubs italiens, du travail que l’on peut faire au quotidien à Milan, prend du retard sur les autres nations ? Comment les clubs peuvent-ils mettre à mal le travail réalisé chez les jeunes ?

 

Une marche entre les équipes de jeunes et l’effectif professionnel ? Une muraille en Italie !

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Premier problème observé, le système contre productif de la Primavera, marquée par l’absence totale des équipes réserves. Des équipes B présentes en Espagne, au Portugal ou bien en France, elles n’apparaitront qu’à partir de cette saison. Jusqu’alors, le passage entre les U19 et la Série A était vécu de manière très, très brutale pour ces jeunes.

La Primavera était d’ailleurs encore moins compétitive qu’elle ne l’a été la saison précédente puisque durant de nombreuses années, les différents clubs U19 étaient séparés en trois groupes géographiques, par zone. Autrement dit, les meilleurs centres de formation ne pouvaient que trop rarement affronter des clubs « de leur niveau ».

Depuis l’an dernier, la Primavera a au moins corrigé cette ineptie et regroupe désormais les groupes par niveau, le Milan U19 étant basculé dans le groupe phare des équipes de la catégorie. Toutefois, ce changement, certes salutaire et positif sur le niveau des équipes, n’a pas corrigé toutes les difficultés. Bien des clubs utilisent la Primavera pour faire jouer les plus âgés, y compris des joueurs pas forcément talentueux.

Cela a notamment été le cas cette année à Milan, où nous avons fait jouer très longtemps Tiago Dias, pourtant pas aussi fabuleux que l’on nous l’avait vendu, ou bien encore nos anciens joueurs prometteurs comme Hachim Mastour, Andres Llamas et Mattia El Hilali. La raison de ces présences ? La volonté des coach de gagner, et de faire jouer des profisl plus « expérimentés » face à des joueurs souvent deux ans plus jeunes qu’eux.

Quel mal y a-t-il à vouloir gagner vous me direz ? Aucun, sauf que l’on occulte la fonction première d’un centre de formation, qui est celle de former et de mettre tout en place pour faire progresser les meilleurs talents. Or, il n’est pas souvent évident de voir en quoi les joueurs plus âgés comme Tiago Dias ou le youtubeur Hachim Mastour offrent plus de garanties qu’un joueur plus jeune.

Il était d’ailleurs savoureux de constater que la Primavera rossonera 17/18 fut dans une forme bien supérieure au moment où jouaient des jeunes de 2001 au lieu des 1998 évoqués précédemment. Malheureusement, ce stratagème est courant en Italie et beaucoup de gros talents, bien que cette tendance se nuance dernièrement, perdent une à deux années de formation au moment crucial de leur carrière.

Comme un symbole, les résultats des sélections U19, notamment lors de l’Euro U19, montrent clairement la perte de vitesse du football italien ! Là où la sélection italienne était au niveau des plus grandes nations étrangères avec les U17, elle se retrouve bien plus en difficulté deux ans plus tard. Même si cela s’améliore sur les dernières années, l’Italie U19 est historiquement bien moins performante qu’avec les U17 et, souvent, les belles performances en U17 n’ont pas donné de suite deux ans plus tard (on pense notamment à la génération 1996, finaliste en 2013, ou bien encore les demi finalistes 1992 en 2009, non qualifiés pour les Euro U19 de leur génération respectivement en 2015 et 2011). Symptomatique des problèmes énoncés.

Avec l’arrivée des équipes B, l’Italie va peut-être pouvoir enfin rattraper un retard conséquent, même s’il est à espérer de voir les clubs italiens changer également de mentalité. Concernant le Milan, il est par exemple à espérer que nous n’hésiterons pas à faire jouer en équipe B des « jeunes » talents, qu’importe s’ils n’ont pas une année d’expérience en Primavera, si ces derniers ont le niveau pour y évoluer. Réponse l’an prochain !

 

Co-propriété, prêts et option de rachat.

S’il y a bien un domaine où l’Italie domine le monde, c’est dans la quantité invraisemblable de nombre de joueurs sous contrat et/ou dans sa capacité à prêter de manière successive le premier jeune talentueux, parfois sans regarder réellement sa destination.

Hormis en Angleterre, l’Italie est maîtresse dans la façon dont elle est capable d’envoyer tout ses jeunes dans toutes les destinations possibles et imaginables. Pour autant, force est de constater que cette manière n’est pas des plus efficaces au regard des résultats.

Autrefois à coup de co-propriété (désormais supprimées), les clubs tendent désormais à effectuer des ventes avec option de rachat, permettant ainsi au club acheteur d’avoir une raison de faire jouer le jeune (ce qui n’est pas nécessairement le cas avec un simple prêt), et le club vendeur la possibilité de voir son poulain jouer et progresser. Un stratagème plus pertinent et efficace… à condition que le joueur soit en capacité de progresser dans le club dans lequel il est vendu !

Une sorte de quitte ou double pour le jeune, qui désormais a certes la place pour percer dans un club qui aura tout intérêt à le faire jouer (l’option de rachat étant plus élevée et permettant au club d’avoir quoi qu’il arrive une plus-value en cas de départ), mais qui pourrait ne jamais retourner dans son club.

Si la solution semble plus intéressante (elle a récemment porté ses fruits pour le jeune Lorenzo Pellegrini, dont le passage à Sassuolo fut bénéfique et qui lui a permis de rentrer, et jouer, dans son club formateur), elle ne remplacera pas la stabilité importante des différents viviers étrangers.

Continuons en effet la comparaison entre la France et l’Italie pour illustrer ces propos. Sur les 23 champions du monde, à l’exception du troisième portier (Alphonse Areola), tout les joueurs ont pu progresser dans leurs clubs respectifs et le premier changement a eu lieu lors d’un transfert après une progression logique. A l’inverse, prenons la dernière sélection italienne concoctée par Roberto Mancini : nous repérons plus de 50% des joueurs ayant, durant leur premières années, effectués des prêts, parfois de longue durée. Niveau stabilité, c’est questionnant. Mais ce n’est pas le seul problème.

 

Un manque d’expérience et de temps de jeu criant

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Pour cette partie, continuons la comparaison entre la sélection italienne, où figurent quelques éléments milanais, et les récents champions du monde. Tout d’abord, regardons l’âge moyen des joueurs lors de leur premier match en première division. Parmi les 23 Bleus, l’âge moyen de leur début était de 18.7 ans là où les Italiens ont effectué en moyenne leur premier match vers 19.5 ans. Une différence d’un an, non négligeable, mais pas inquiétante.

Mais démarrer en championnat est une chose, jouer fréquemment en est une autre : c’est bien là que les choses se corsent. En lien avec les multiples prêts que certains joueurs italiens ont pu subir (et j’insiste sur ce mot), la différence est criante.

A 20 ans, les joueurs français avaient effectué en moyenne 22.5 matches lors de l’année de leurs vingts ans, s’ajoutant à cela trois matchs de compétitions européennes. En Italie, la donne est inférieure avec 13.7 matchs de championnats en moyenne et un peu plus d’un match de compétitions européennes. Mais ce n’est pas tout, cette différence, déjà significative, devient alarmante deux ans plus tard. En effet, les Français sur l’année de leurs 22 ans ont joué en moyenne 62 matchs de championnat (l’équivalent de deux saisons pleines) et surtout 7.5 matchs de coupe d’Europe.

En Italie ? Une quarantaine de matchs en moyenne en championnat (une seule saison pleine) et surtout 3 matchs européens en moyenne a 22 ans. Autrement dit, à 22 ans, un Italien a donc en moyenne effecté autant de matches européens qu’un Français de 20 ans. Très gênant…

Ainsi, une fois sorti de ces stats, une réflexion reste. Les joueurs français évoluent majoritairement dans des clubs disputant des compétitions européennes qui n’ont jamais hésité à les faire jouer. A l’inverse, il n’est pas rare de voir bon nombres de joueurs italiens évoluer dans des « petits » clubs alors que les gros historiques préfèrent recruter ailleurs.

En outre, au premier club italien qui est en capacité de faire progresser un jeune, il est courant de voir ce dernier demander une somme astronomique afin de défier toute concurrence et conserver son joyaux. S’il est compréhensible de voir le club mettre les barbelés sur son jeune, réclamer une somme ahurissante est contre productive tant pour le joueur que pour le club. 

Bien évidemment, même si je risque de faire naître des critiques en disant cela, le niveau du championnat de Ligue 1 est facilitateur de confiances des jeunes, les clubs n’ayant pas autant de revenus et ayant davantage la place de faire jouer leurs jeunes talents. Toutefois, la faiblesse de la Ligue 1 ne doit pas excuser la frilosité italienne.

D’une part, les gros championnats étrangers n’ont pas forcément les mêmes difficultés qu’en Italie, d’autre part, la faiblesse du championnat n’est pas une justification à elle seule. Lors de la crise du championnat Italien, les différents clubs – l’AC Milan notamment – avaient l’occasion de faire jouer les jeunes, ce qui ne fut pas le cas, empilant les joueurs médiocres.

 

Des motifs d’espoirs ? Oui, mais pas sans remise en question

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Toutefois, l’avenir n’est pas tout noir et des motifs d’espoirs pointent le bout de leurs nez. Tout d’abord, les clubs ont mis la totalité des dispositifs possibles pour enrayer les difficultés observées et que nous venons de vous énoncer. Une Primavera qui se classe par niveau, l’apparition des équipes B (le Milan a d’ores et déjà annoncé qu’il inscrira une seconde équipe qui partira donc du troisième échelon national) et un échec cuisant de la sélection qui poussera sans nul doute les différents formateurs à une remise en question nécessaire et à deux fois plus de travail.

Au sein du club, l’ensemble des formateurs a d’ailleurs été modifié au cours de l’année, laissant sa place à une sélection de coachs talentueux et ayant eu des résultats prometteurs dans leurs clubs précédents.

Au niveau du championnat, le Milan n’est désormais plus seul dans sa capacité à lancer des jeunes talents puisque l’on a vu désormais bon nombre de joueurs jouer de plus en plus tôt. Si la nouvelle « méthode » de l’achat/option de rachat risque de se régulariser, la frilosité des clubs tend à diminuer depuis deux saisons.

Au cours de cette période nous avons notamment pu voir apparaître sur nos radars des joueurs comme Moise Kean, Pietro Pellegri (désormais à Monaco), Claude Adjapong, Alessandro Bastoni en plus de Manuel Locatelli et Patrick Cutrone de chez nous. 

Nous devrions – et il est à espérer – en voir davantage dans les mois à venir, car le football italien passera par eux : Luca Pellegrini (1999) à la Roma, Alessandro Bastoni (1999) en Série A, la révélation Sandro Tonali (2000) actuellement à Brescia, Alessio Riccardi – ci-dessus sur la photo – (2001) avec la Roma, le talentueux Niccolo Faggioli (2001) qui fait la préparation estivale avec la Juve ou bien évidemment Raoul Bellanova (2000), dont nous vous vantons les qualités depuis plusieurs années maintenant; tous doivent une carte à jouer prochainement.

Si les précédentes générations, actuellement avec l’équipe nationale, ont vu leur progression gâchée et ne pourront sans doute jamais rattraper le retard sur d’autres sélections nationales, c’est cette nouvelle génération qui pourra nous sortir du pétrin dans lequel nous nous sommes fourrés au fur et à mesure des années.

Pour l’anecdote, à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’Italie U19 s’est qualifiée pour les demi finales de l’euro U19, deux ans après avoir atteint la finale. Arriver dans le dernier carré pour la deuxième fois en trois éditions, alors qu’elle n’avait jusque-là atteint ce stade que deux fois depuis le début des années 2000, est un signe fort et une belle amélioration de la qualité des jeunes Italiens.

 

Pour conclure, le but n’est pas ici de vouloir une équipe exclusivement composée de jeunes italiens sortis du berceau (car un trop grand nombre de jeunes pourrait vite devenir contre-productif en fonction des résultats et de la pression résultant de ces résultats) mais d’essayer de leur faire de la place. S’il est évident qu’un jeune n’a pas les mêmes qualités à la base, car certains possèdent plus de talents que d’autres, si le potentiel est existant et propre à lui, sa manière de l’exploiter résultera en très grande partie de ce que l’on en fait.

Ainsi, avant la mise en place des équipes B, avant tout ce que l’on peut mettre en place comme système, la priorité reste et restera la confiance qu’on leur accorde, et l’imprudence, l’imprudence de penser qu’un jeune apportera quelque chose, l’imprudence de voir le jeune joueur comme une potentialité, comme un atout et non comme un fardeau sous le prisme de l’inexpérience.

Si nous ne pouvons que souhaiter que les clubs aient la même vision des choses, nous espérons en revanche fortement de voir le Milan, quel que soit la nouvelle direction, continuer le travail effectué et être en capacité de mettre en avant les principaux talents dont il dispose, car c’est nécessaire tout autant pour le club, que pour le championnat et le football national.

Ainsi, messieurs les dirigeants, messieurs les formateurs, c’est à vous de jouer désormais !

  • Marco

    Superbe article, merci pour toute ces informations.

    Je trouve ça d’autant plus dommage que certains jeunes italiens n’ont rien à envier aux étrangers

  • Vettese Sandro

    Merci Tom pour cet article. Beaucoup d’articles sur Calciomio on mis en exergue les difficultés que vous avez énoncé mais aucun était aussi bien écrit et argumenté comme le votre (même si les autres auteurs aussi sont excellents).

    Je me devais de vous écrire pour encourager d’autres articles

    • Thomas Crn

      Merci beaucoup pour ces mots 🙂

  • Tifoso_7

    Très bon article, bravo!

    La comparaison avec la France est alarmante…mais comme dit, il y’a de l’espoir avec les dernière mesures prises notamment la création des équipe B qui, si elle est bien utilisée, peut aider les clubs à mieux accompagner leurs jeunes

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