Depuis quelques années, une comédie dramatique digne de la Commedia dell’arte se joue à Milan. Entre la boule de billard préférée de Berlusconi, la fifille à son papa et le big boss lui-même, toujours aussi habile pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Mais toi, tu as déjà vu House of Cards. Toi, tu sais que dans les hautes sphères, tout se joue en coulisses et que ce qu’on nous étale dans les médias n’est pas forcément parole d’évangile. En attendant de placer une taupe à Casa Milan, on a utilisé nos dons d’ubiquité pour dresser un tableau du joyeux bordel qui règne là-bas.
Acte I : c’era una volta
Il était une fois le club le plus titré du monde. Grâce à son riche président mafieux et à son consigliere chauve. Pendant que le premier se chargeait de signer les chèques et de laisser rejaillir la gloire du club sur ses ambitions politiques, le second traquait les bonnes affaires du mercato comme d’autres chassent les trophées aux brocantes du dimanche. Ce dernier avait signé Cafu pour zéro balle à son départ de la Roma, le convainquant de rester en Italie alors qu’il était sur le départ pour l’Asie. Il avait aussi attiré le capitaine de la Lazio Alessandro Nesta, profitant des errements budgétaires de la Lazio. Il avait échangé Clarence Seedorf contre un gars nommé Coco, dont personne ne se rappelle comme ayant un jour été joueur de foot. On en passe et des meilleurs.
Bien sûr tu as reconnu Adriano Galliani, aujourd’hui détesté avec son air décati. Mais sans lui, il n’y aurait sans doute pas eu ces cinq trophées de la Ligue des Champions et ces huit coupes de Serie A entassés sur des étagères à Milan.
Acte II : les fourberies de Barbara
Tout part en cacahouète quand l’un des rejetons de Silvio Berlusconi débarque comme un chien dans un jeu de quilles, tentant de faire jouer la corde sensible pour mettre un terme à la bromance entre le président et son vieux comparse. Barbara Berlusconi, déjà pistonnée chez Fininvest, profite de la période troublée qui règne au club pour s’incruster au Conseil d’administration.
La plupart des dernières légendes rossonere, les Maldini, Nesta, Pirlo, Gattuso, viennent de quitter l’équipe. Barbara estime le moment choisi pour faire table rase du passé et ouvrir de nouvelles perspectives d’avenir. Elle essaie donc de se débarrasser de Galliani. Mais le vieux pirate en a vu d’autres et il s’accroche à son fauteuil comme une moule à son rocher. Il commence par évoquer sa proche démission dans les journaux. Ce que Berlu lui refuse. Echec et mat en un coup : le chauve garde son poste et réaffirme sa position privilégiée.
Malgré tout, la fille du boss finit par obtenir la tête d’Ariedo Braida, une légende de la direction du club. Problème. Si Galliani est passé maître dans la négociation de transferts, c’est souvent son collègue qui lui souffle les bonne idées à l’oreille. Le chauve est l’artiste, l’autre la muse. Sans Braida, pas de Shevchenko, pas de Van Basten. Sans Braida, pas de Kakà, pas de Thiago Silva. Sans Braida, Milan se retrouve à court d’idées et recrute les pires cas sociaux du football contemporain.
Finalement, cette lutte intestine entre Galliani et Barbara, qui partage certains traits de caractère de son père, son impitoyable soif de pouvoir et son appétit pour la chair fraîche – si Pato peut toujours être considéré comme tel après avoir passé la moitié de sa vie à l’hôpital -, se dispute au détriment des tifosi.
Acte III : lone survivor
Pour le bien du club, il semble bien que l’un des deux soit destiné à laisser les rênes à l’autre tôt ou tard. Entre Galliani, 71 ans, qui s’est fait refouler par Carlo Ancelotti au début de l’été, puis qui a manqué plusieurs transferts consécutifs, dont ceux largement médiatisés de Jackson Martinez, Zlatan Ibrahimovic ou encore Alex Witsel, et Barbara, jeune femme d’affaires aux dents qui rayent le parquet, décidée à construire un nouveau stade et à faire du Milan une marque, présente en force sur les marchés asiatiques, le choix semble vite fait.
Surtout que les errements de l’administrateur chauve ces dernières années ont épuisé la patience des tifosi. Déjà sénile, il a multiplié les transferts foireux récemment. Il y a quelques semaines, la Curva Sud se fendait d’une lettre ouverte, d’un « j’accuse » footballistique, estimant que le vrai coup du mercato serait de le foutre à la porte. En outre, le fossile milanais serait l’ultime barrière au retour hypothétique du légendaire capitano Paolo Maldini au club, dans un rôle de dirigeant. Une éventualité fortement souhaitée par la plupart des tifosi pour pouvoir relancer un projet sportif viable sur le long terme. Mais aussi afin de garantir la pérennité des valeurs rossonere, malmenées ces dernières années par la politique hasardeuse menée par Il Condor.
Bien entendu, les liens particuliers tissés entre Galliani et ses homologues, notamment au Real Madrid, au Genoa ou à la Roma, seraient difficiles à remplacer. Mais Milan a besoin d’aller de l’avant. La vision de Barbara, encouragée par Bee Taechaubol, est celle d’un avenir prometteur. Milan a besoin d’un leader moderne, comme l’était Leonardo, ancien membre de la direction rossonera, au Paris Saint-Germain. Milan n’a pas besoin d’un capitaine qui coule avec son navire.
Dans cet univers de requins, Adriano Galliani semble avoir les dents encore assez aiguisées pour tenir tête à la jeunesse fougueuse de Barbara Berlusconi, mais Milan nécessite ce renouveau, symbolisé par la gosse capricieuse et gâtée du patron, et doit donc laisser partir le dernier vestige d’une époque révolue. Ciao Gaga e grazie per tutto.