Il y a tout juste un mois, n’importe qui ayant annoncé que Mattia De Sciglio allait réaliser un Euro 2016 de qualité serait passé pour un fou. Qui aurait pu croire cela, au regard des prestations au mieux moribondes, au pire catastrophiques que servait le jeune latéral italien depuis des semaines voire des mois sous le maillot du Milan ? Et pourtant, dans le groupe – formidable d’abnégation, de caractère et de cohésion – transcendé par Antonio Conte pour disputer la compétition en France, De Sciglio s’est avéré être un élément majeur, y compris jusqu’aux ultimes instants du cruel déroulement de samedi dernier. Quelles peuvent être les explications pour un tel paradoxe ?
Après son premier match en compétition officielle le 28 septembre 2011 sur la pelouse de San Siro, qui accueille ce soir-là le match entre le Milan et Plzen en Champions League (2-0), le prometteur De Sciglio intègre définitivement le groupe professionnel à l’été suivant, sous l’impulsion de Massimiliano Allegri. Il ne tarde pas à obtenir un poste de titulaire, que cela soit sur le côté droit ou gauche de la défense, pour pallier aux blessures d’Abate. Reste qu’à l’époque, le doute subsiste : alors que le Milan a perdu quelques-unes de ses plus grandes légendes, voilà que les clés des couloirs sont données à ce frêle joueur inconnu du grand public, tout juste sorti de la Primavera.
Cependant, les interrogations qui pouvaient l’accompagner se taisent bien vite face à l’étendue de son talent : les prestations de haute volée s’enchaînent et la phase retour de cette saison 2012-2013 reste pour le moment la meilleure période de sa courte carrière. Relance, placement, interception, agressivité, sens du jeu… Le voilà en Nazionale, sous la direction de Cesare Prandelli, et il participe même à la Coupe des Confédérations au Brésil de fin de saison. La rigueur tactique et la justesse technique affichées portent évidemment la presse italienne à s’enflammer sur les qualités de De Sciglio : un jeune latéral italien formé au club, ne serait-ce donc pas le nouveau Maldini ?
Tout juste une saison en professionnel et les ennuis commencent. A l’aube de l’exercice 2013-2014, De Sciglio se blesse au ménisque, puis souffre de complications alors que dans le même temps, le pathétique Milan d’Allegri patauge en Serie A. En 3 mois, le numéro 2 milanais ne dispute qu’un match. Il revient au début du mois de décembre et regagne de suite sa place de titulaire : il s’affirme comme incontournable alors que la qualité de ses prestations commence à être fluctuante. Pourtant, De Sciglio est nommé dans l’équipe-type de Serie A de l’année 2013 au Gran Galà organisé par l’Associazione Italiana Calciatori et participe à l’anodine Coupe du Monde brésilienne de la Squadra Azzurra.
A l’été suivant, Inzaghi débarque sur le banc du Milan avec toutes les promesses de la direction. Enfin, se dit-on, c’est la saison de la confirmation pour De Sciglio. Titulaire, il enchaîne les prestations moyennes qui le laissent pourtant inamovible vu l’absence de concurrence. Il est freiné par une aponévrose plantaire lui faisant manquer une douzaine de matches. A son retour, il se signale par une expulsion directe après 2 minutes de jeu face au Napoli, lors d’un naufrage collectif au San Paolo (0-3).
Nouvel entraîneur avec l’ex interista Mihajlovic qui lui voue lui aussi une confiance sans limite. Toujours titulaire, De Sciglio ne s’affirme pas et s’aligne sur ses prestations plus que moyennes de la saison précédente. Tout ce qui faisait sa réussite lors de l’année 2013 a disparu en deux ans : il pêche dans le combat physique, perd ses duels, est inexistant offensivement et limité défensivement. Pourtant imbuvable – sur ACM-Z, nous l’avons d’ailleurs désigné flop de la saison pour le secteur défensif –, il porte même le brassard de capitaine début mars face à Sassuolo (0-2) ! Les tifosi perdent patience envers un joueur que l’on sait plein de qualité mais incapable de réagir, donnant l’impression d’être absent sur le terrain, se laissant bousculer sans que cela ne semble le déranger.
Face à ce constat d’une régression alarmante et qui semble ne pas pouvoir prendre fin, un premier signe d’amélioration est constaté le 21 mai dernier, à l’occasion de la finale de Coppa Italia à l’Olimpico de Rome. Alors dirigé par Brocchi, le Milan fait plus que jeu égal avec la Juventus, ce qu’il doit en partie par la prestation plus que probante d’un De Sciglio en mode 2013, qui ne laisse aucun répit à Lichsteiner dans son couloir. Malgré la finale perdue, il est bien temps de passer à autre chose car c’est l’heure de rejoindre la Nazionale de Conte pour l’Euro 2016.
S’il y a bien une constante dans la carrière du latéral milanais, c’est l’équipe nationale. En effet, depuis sa première sélection le 21 mars 2013 face au Brésil (il en a 26 à présent), De Sciglio n’a pas été convoqué qu’à sept reprises, ses six autres absences étant liées à des blessures. Il a donc bénéficié de la confiance des sélectionneurs successifs Prandelli et Conte, preuve des attentes placées en lui. Au cours des 10 matches de qualification pour l’Euro 2016, De Sciglio en a disputé sept, tous en tant que titulaire.
A l’heure de l’annonce des 23, son nom est une nouvelle fois présent, laissant planer l’incompréhension au sein de la tifoseria milanaise et des partisans de la Squadra Azzurra de manière globale : pourquoi emmener un joueur si moyen, qui n’a fait qu’un seul bon match en deux ans, alors qu’un Luca Antonelli s’est montré sous son meilleur jour dans le même club ? A l’heure des commentaires sur la liste des 23, De Sciglio faisait sans doute partie des joueurs visés lorsque la presse comme le public parlaient de la probable pire sélection italienne de l’histoire.
Sauf qu’à sa tête, la Nazionale dispose d’un homme venu d’une autre planète : Antonio Conte. Amoureux du 3-5-2, fervent de rigueur tactique, chantre de la notion de groupe, celui-ci a parfaitement projeté son plan, on pourrait presque croire qu’il est voyant à ses heures perdues. Pour le premier match dans l’Euro face à la Belgique, la faible Italie l’emporte 2-0 et De Sciglio ne dispute qu’une demi-heure globalement intéressante.
Pas aligné lors de la victoire face à la Suède (1-0), il est titularisé dans son couloir gauche au sein d’une équipe remaniée face à l’Irlande (défaite 1-0) : malgré le résultat, il est sans doute le seul à s’être montré au niveau des habituels titulaires, gage de sécurité et de précision sur son côté.
Il est d’ailleurs titulaire lors du huitième de finale face à une Espagne redoutée mais qui s’incline 2-0 : dans le spectacle général, De Sciglio s’est démarqué par sa vitesse – muselant des joueurs comme David Silva ou Fabregas –, son placement mais aussi son apport offensif. Même chose lors du quart de finale face aux champions du monde allemands, qui se solde par une élimination aux tirs aux buts, dans une séance où il aura marqué face à Manuel Neuer.
Comment expliquer cela ? Malgré les reproches faits à Conte dans ses choix, celui-ci a créé une véritable équipe, tirant le meilleur de joueurs aux qualités techniques globalement moindres que celles de leurs glorieux ancêtres. Dans ce véritable ballet tactique exécuté de main de maître, chaque joueur se retrouve face à ses responsabilités, chaque joueur est toujours replacé au centimètre près par un Conte littéralement habité au bord du terrain.
C’est sans aucun doute grâce à cela que De Sciglio a su retrouver son niveau : l’environnement d’une Nazionale avec des joueurs qu’il fréquente depuis deux ans lui est inévitablement favorable. La pression existe lorsque l’on joue pour la Squadra Azzurra, autant que lorsque l’on porte le maillot du Milan, mais l’atmosphère dans la vie du groupe est complètement différente. Et si, finalement, les problèmes rencontrés depuis deux ans par De Sciglio trouvent leur origine dans les maux du Milan ?
Il y a de cela quelques mois, Keisuke Honda avait lâché une petite phrase passée presque inaperçue, dans laquelle il disait ne pas comprendre comment des joueurs du Milan performant avec leur sélection nationale n’arrivaient pas à maintenir le même niveau lorsqu’il joue avec le maillot rossonero. Symbole de cette incompréhension, les médias italiens avaient rapporté au printemps dernier les nombreuses dissensions au sein du vestiaire milanais au sujet de joueurs s’investissant peu lors des entraînements et des matches ou déconnectés de la vie du groupe et indifférents aux résultats de l’équipe… Au Milan, on se retrouverait donc à l’opposé de la vision prônée par Antonio Conte.
Lorsque l’on se penche sur de tels éléments, on constate aisément qu’il y a un énorme gouffre entre la Nazionale et le Milan : l’ambiance au sein de cette première n’est pas perpétuellement délétère comme c’est le cas à Milanello, entre changements d’entraîneurs et sempiternelles rumeurs de rachat, et le groupe n’y est pas composé de joueurs imbus de leur personne, au caractère de petite frappe, comme c’est le cas à Milanello.
Dès lors, il apparaît comme logique de voir en De Sciglio une sorte de victime de cet environnement détestable, propre à ce Milan des années 2010, sans oublier la presse italienne l’ayant comparé d’entrée à Paolo Maldini, comme c’est souvent le cas pour de nombreux jeunes joueurs (il n’y a qu’à voir les traitements médiatiques de Simone Scuffet ou Gianluigi Donnarumma, les nouveaux Buffon). De Sciglio a besoin d’un environnement serein et assaini et ça, Conte l’avait compris, d’où la confiance illimitée accordée au latéral milanais au moment de choisir les joueurs reçus à Coverciano, le centre d’entraînement de la Nazionale.
Finalement auteur d’un bon Euro, De Sciglio attire les convoitises. Avant même la compétition, la Juventus s’était déjà penchée sur ce dossier avec un argument de poids : un effectif rodé chapeauté par celui qui avait lancé De Sciglio chez les professionnels, Allegri.
Depuis, le Napoli de Sarri s’est signalé, avec une offre de 15 millions d’euros finalement repoussée par le Milan. Aujourd’hui, la Gazzetta dello Sport parle d’un intérêt prononcé du FC Barcelone, sans oublier le Bayern d’Ancelotti, qui suivait déjà avec attention le latéral italien lors de son passage sur le banc du Real Madrid. Il y a encore quelques semaines, des offres comme celles de ces clubs n’auraient été que difficilement déclinées.
Maintenant, le Milan et son nouvel entraîneur Montella comptent clairement sur De Sciglio (pourquoi avoir recruté l’inconnu Leonel Vangioni sur ce poste, alors qu’Antonelli donne aussi satisfaction ?) mais ce dernier veut-il poursuivre son aventure dans son club de toujours ?
En effet, à l’heure actuelle, malgré les adieux de nombreux joueurs en fin de contrat et les différentes rumeurs de départ, l’effectif du Milan 2016-2017 reste une grande inconnue. De même, la situation ‘hiérarchico-financière’ du club est une zone d’ombre complète. En outre, malgré un bel Euro, rien ne dit que le Milan ne retrouvera pas le De Sciglio de ces deux dernières saisons, qui n’amenait rien à l’équipe…
Dans ce marasme global, il semblerait toutefois dommageable de se séparer d’un jeune joueur au talent indéniable, formé au club, qui a toujours déclaré se voir au Milan sur le long terme. Reste à savoir si le joueur cédera aux sirènes de clubs plus huppés, à même de lui offrir un environnement favorable pour s’exprimer, ou si le Milan cédera à celles d’une belle somme d’argent pour améliorer sa situation financière en cas de vente manquée.
Vu son rendement lors des 2 dernières saisons mais aussi lors de l’Euro, faut-il conserver #DeSciglio au #Milan ?
— AC Milan – Zone.fr (@acmilan_zone) 5 juillet 2016