Il y a tout juste un mois, nous débattions déjà ici-même du cas de Gianluigi Donnarumma. Nous nous inquiétions de son silence, de sa confiance totale en son agent Mino Raiola et de sa capacité de discernement. Quelques jours plus tard, nous avions eu la confirmation de nos craintes antérieures : par l’intermédiaire de son agent, le jeune gardien italien annonçait à son club formateur qu’il n’envisageait pas de prolonger son contrat se terminant en juin 2018. Cette annonce, lourde de conséquences, contraignait dès lors la direction du club à se trouver une solution de repli, tout en réitérant à plusieurs reprises dans la presse qu’une nouvelle discussion était toujours possible, une fois le joueur revenu de l’Euro Espoirs disputé en Pologne avec la Nazionale U21.
C’est donc en Pologne que s’exprimèrent les premières formes de contestation à l’encontre de Donnarumma, par l’intermédiaire des ingénieux membres du Milan Club Polonia. Banderoles, chants, faux billets, Dollarumma n’était pas épargné par ceux qui l’adulaient il y a encore quelques semaines, quand le Milan accrochait miraculeusement une qualification pour le troisième tour préliminaire d’Europa League. La fronde sur les réseaux sociaux avait pris des proportions inattendues, à la hauteur de l’amour que les tifosi portaient à l’enfant chéri du nouveau Milan. Le clan Donnarumma ne se privait pas de rajouter de l’huile sur le feu, avec le beau-frère du 99 rossonero voyant le Milan comme « un club de clowns », message liké par le frère Antonio Donnarumma et bien vite supprimé par la suite.
Voilà où l’histoire entre le Milan et Gianluigi Donnarumma aurait du s’arrêter. Comme l’administrateur délégué Marco Fassone l’avait expliqué à maintes reprises, la prolongation de contrat d’un des gardiens les plus talentueux du monde était une priorité de la nouvelle direction depuis la vente du club le 13 avril dernier. « Cependant, il y a une chose que nous ne pouvons pas faire, c’est attendre » : le chantier de l’effectif étant tellement immense, ce dossier Donnarumma devait être bouclé avant son départ pour l’Euro Espoirs et ce afin de trouver une solution de repli en cas de réponse négative. Le problème, c’est que cela ne plaisait pas à Mino Raiola, qui n’a pas l’habitude de recevoir des ordres de qui que ce soit, mais c’est aussi que la famille Donnarumma voue une confiance aveugle en cet agent peu scrupuleux et ses méthodes bien particulières.
L’idylle entre Donnarumma et Raiola n’est pas sans me rappeler celle – chaotique – entre Père Ubu et Mère Ubu dans Ubu Roi, la pièce d’Alfred Jarry : Ubu, devenu roi de Pologne grâce à son coup d’Etat contre son prédécesseur Venceslas, vécut de gloires militaires avant d’être manipulé par sa femme, qui le conduisit de défaites en défaites puis à l’abandon de son trône et la fuite en France. Après avoir délogé Diego Lopez de son poste de titulaire, Donnarumma avait conquis l’intégralité de la tifoseria du Milan mais c’était sans compter sur son agent qui, sous couvert d’une revalorisation salariale méritée pour son protégé, comptait bien s’en mettre lui aussi plein les poches. La haine bouillonnante parmi les tifosi était donc partagée entre Donnarumma, avec ses déclarations d’amour envers le Milan qui n’était finalement que du vent, et Raiola, l’agent qui pensait pouvoir dicter ses envies à la direction rossonera.
L’apogée de ce désamour est intervenu il y a quelques jours, l’Euro Espoirs toujours en cours, suite à une succession de mouvements sur les réseaux sociaux. Alors que la presse italienne annonçait une possible rupture entre le joueur et son agent, Donnarumma se fendait d’un tweet non équivoque, consacrant sa relation avec son agent de toujours. L’ire était complète chez les tifosi. Avec ce message, le numéro 99 confirmait sa décision du début du mois de juin : pour la première fois qu’il s’exprimait sur sa prolongation, entre son soi-disant club de cœur et son agent, il avait choisi ce dernier. S’en est suivi quelques heures plus tard un message sous forme d’appel au calme sur son compte Instagram, qui resta affiché pendant de longues minutes avant d’être effacé prétextant un piratage, excuse qui n’avait pas convaincu grand monde. Donnarumma (et Raiola ?) se jouait du Milan, se moquait de son club formateur. Pour ceux qui espéraient une prolongation de Donnarumma sans Raiola, cette hypothèse semblait définitivement à oublier : les deux hommes sont plus liés que jamais.
#Donnarumma #Raiola
Ieri , Oggi e Domani !!— Gianluigi Donnarumma (@gigiodonna1) 25 juin 2017
Finalement, après une nouvelle vague de haine, les discussions ont été rouvertes. Conscient des enjeux, Donnarumma a demandé à sa famille et à son agent de rencontrer de nouveau le Milan, pour prolonger ce fameux contrat. Vincenzo Montella, en vacances près du fief des Donnarumma, a même rendu visite aux parents du joueur afin de leur expliquer le projet du Milan. Hier soir, Sky Sport a annoncé que toutes les parties étaient d’accord : un nouveau contrat sera prestement signé. Il portera sur les cinq prochaines saisons – soit jusqu’en 2022 – et permettra à Donnarumma de recevoir 6 millions d’euros annuels nets. Avec un tel salaire, il deviendra le troisième gardien le mieux payer au monde, derrière Manuel Neuer (9M€) et David De Gea (6,8M€) mais devant Thibaut Courtois (4,1M€) et Gianluigi Buffon (4M€). On a même annoncé que Donnarumma a refusé une offre du PSG comportant un salaire annuel de 13M€ : reste à savoir si cela est vrai ou si ce n’est pas plutôt une nouvelle manœuvre de la famille Donnarumma pour apaiser les tensions…
Outre cette rémunération, le clan Donnarumma a obtenu le recrutement d’Antonio Donnarumma en tant que gardien numéro 2, frère de, âgé de 26 ans, formé au Milan et évoluant à l’Asteras Tripolis (14ème sur 16 de la Super League grecque 2016-2017). Ainsi, le club lombard s’offre de manière incompréhensible à la famille Donnarumma. Quand on voit le chantage mené par Gigio et son agent, quand on voit la fermeté affichée jusqu’à présent dans ce dossier par Fassone, comment le Milan peut-il accepter d’offrir un contrat et un salaire d’un million d’euros annuels nets au frère Donnarumma dont le seul fait d’arme a été d’être une doublure au Genoa ? L’institution se couche pour acheter la paix sociale avec son prodige. Cette décision est une défaite morale de premier ordre. Le numéro 99 rossonero s’étant suffisamment montré irrespectueux envers son club formateur pour en être expédié le plus vite possible, comment peut-on maintenant ramener son frère ?
Pourtant, ceux parmi les tifosi qui réclamaient que le gardien de 18 ans passe sa dernière année de contrat en tribune après son refus de prolonger se font nettement moins entendre maintenant. En effet, ce nouveau contrat contient aussi des clauses financières indexées sur la participation à la Champions League. La clause libératoire sera de 100M€ en cas de qualification à la plus prestigieuse des coupes européennes ou de 50M€ si ce n’est pas le cas. Certains arrivent à se consoler en arguant ces considérations économiques. De mon point de vue, cette épisode aurait du permettre à la nouvelle direction rossonera d’affirmer que le Milan en tant qu’institution était de retour dans la cour des grands : le temps des Muntari et autre Mexès portant le brassard de capitaine et se battant avec l’adversaire sur le terrain doit être révolu, de même que l’octroi d’avantages financiers considérables pour des joueurs qui n’ont encore rien prouvé et qui jouent avec ce que représente l’AC Milan.
Il n’en sera finalement rien. Moralement, le Milan a perdu. Les prémices de cette défaite sont apparues dès lors que Fassone a accordé un nouveau délai à Donnarumma pour une éventuelle prolongation. Cette défaite est dorénavant totale, marquée du sceau du clan Donnaraiola et de son emprise sur le Milan. Le peu d’honneur qu’il reste au club est vaguement sauvé par le versant économique de ce nouveau contrat et la clause libératoire qui y est inscrite. Dans un an, Gianluigi Donnarumma quittera le Milan, reste à savoir pour combien : 100M€ au mieux, 50M€ au pire. Dorénavant, les tifosi doivent se garder d’un mal redoutable : l’amnésie collective. Quand Donnarumma réapparaîtra sur la pelouse de San Siro, il ne faudra plus voir le fils prodigue auteur de parades exceptionnelles mais plutôt le joueur bénéficiant du plus gros salaire du club, obtenu après un véritable sketch indigne du Milan. Et quand on a un salaire de ce genre, le niveau d’exigence doit être du même acabit. Dès lors, un petit conseil, Gigio : commence à travailler ton jeu au pied…