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Cudicini, l’araignée du soir

Lorsque l’on s’intéresse aux plus grands joueurs de l’histoire du Milan, les noms viennent en pagaille. De Van Hege à Maldini (père et fils), de Rivera à Shevchenko, de Baresi à Kakà… Les candidats sont nombreux et de toutes les époques. Un poste demeure pourtant le parent pauvre, bien qu’il ait accueilli des hommes d’un talent éblouissant : celui de gardien de but. Comme souvent, les joueurs de champ accaparent toute l’attention, laissant l’ultime rempart dans la solitude de ses bois, en marge des succès de son équipe. Au tournant des années 60, alors que le Milan enregistrait ses premiers faits d’armes internationaux, le légendaire Nereo Rocco offrait à son club celui qui passera à la postérité comme le ragno nero italien, l’araignée noire : Fabio Cudicini.

Fabio Cudicini naît à Trieste – cet élément aura son importance plus tard – en octobre 1935 et contrairement à nombre de joueurs de l’époque, sa découverte du football n’a rien du hasard. Son père Guglielmo faisait partie de la deuxième génération des joueurs italiens, qui évoluait dans un championnat véritablement structuré avec des clubs bien organisés dans les années suivant la Première guerre mondiale. Son physique longiligne – il mesurait 1m91, chose peu courante à l’époque – lui offre l’opportunité de remplacer un gardien absent dans l’équipe de sa paroisse et c’est ainsi que lui le joueur de champ fit ses classes à la Ponziana, club triestino où son père avait débuté puis fini sa carrière. C’est toutefois à l’Udinese qu’il fait ses débuts en Serie A, en décembre 1956, à 21 ans.

L’équipe bianconera est alors une des têtes d’affiche du premier niveau italien : deuxième du championnat en 1955, elle est reléguée administrativement en Serie B pour mieux remonter dès l’année suivante, terminant quatrième de Serie A en 1957. Si Cudicini n’est pas titulaire malgré ses qualités et son physique, c’est qu’il est encore jeune – l’âge étant encore aujourd’hui un critère de performance pour le poste en question – et qu’il n’entend pas mettre de côté ses études, contrairement aux souhaits de son père qui voudrait le voir s’investir uniquement dans le football.

Ses performances attirent la Roma, qui envoie à l’Udinese un joueur et quelques millions de lires en échange du natif de Trieste lors de l’été 1958. Dans la capitale, Cudicini ronge son frein pendant deux ans avant de s’accrocher de manière permanente au poste de gardien titulaire chez les giallorossi. Le géant fait mouche avec ses sorties aériennes à une époque où les gardiens restent encore beaucoup dans leur cage et n’utilisent que rarement des gants. Son envergure impressionnante marque aussi les esprits lors de la double confrontation face à Birmingham City en finale de la défunte Coupe des villes de foires remportée par la Roma en 1961. Il découvre aussi la Nazionale… B en 1963 puis remporte la Coppa Italia en 1964 en battant le Torino en deux matches.

Cudicini à l’entraînement avec la Roma

A l’aube de la trentaine, Cudicini entendait bien rester à la Roma. Il avait fait sa vie dans la capitale, y rencontrant sa femme et y ouvrant une briqueterie qui fonctionnait plutôt bien dans une Italie en pleine croissance économique… mais la suite fut moins rose, comme il l’expliquait lui-même à La Gazzetta dello Sport il y a quelques années.

« Je me sentais très bien à la Roma, j’étais même convaincu d’y terminer ma carrière. Mais pour la première fois de ma vie, ça s’était mal passé avec un entraîneur, Oronzo Pugliese (arrivé à la Roma en 1965, ndlr). […] J’avais une blessure à la hanche et le médecin me disait que je devais m’arrêter. L’entraîneur ne faisait pas confiance au deuxième gardien donc il me suppliait de jouer. J’ai tenu six dimanches de suite avant de refuser de rentrer sur le terrain. Pugliese le prit comme une insulte. Après ma convalescence, je ne vis plus le terrain. […] Alors que nous étions en tournée en Australie après le championnat, je recevais un télégramme de ma femme me disant ‘Ils ont acheté Pizzaballa’ (jusque alors gardien du Hellas, ndlr). Quelques jours après, un journaliste romain me disait que le club m’avait vendu à Brescia. »

A 31 ans et après 8 saisons en giallorosso, Cudicini quitte donc sa ville d’adoption direction la Lombardie et Brescia, qui évolue depuis la saison précédente en Serie A après 20 ans à l’échelon inférieur. Avec les rondinelle, le solide gardien italien ne termine que 13ème du championnat et fait une croix sur ses ambitions sportives, voyant le terme de sa carrière se rapprocher à grands pas.

Depuis plus de 15 ans, le Milan enchaîne les titres et les places d’honneur, avec en point d’orgue sa première Coupe d’Europe des clubs champions en 1963. En 1967, le Milan du capitano Gianni Rivera remporte la Coppa Italia, avec son ancien joueur Arturo Silvestri sur le banc. Ce dernier cède sa place à l’un de ses illustres prédécesseurs dans le costume de Mister du Milan, Nereo Rocco. Après les triomphes du début de la décennie, le bouillonnant entraîneur avait pris le chemin du Torino, en froid avec ses dirigeants. Ceux-ci ayant changé entre-temps, Rocco renoue ses liens avec le Milan présidé alors par Luigi puis Franco Carraro. Il obtient quasi carte blanche pour la gestion sportive de l’équipe, y compris sur le mercato, où il cherche un gardien d’expérience pour accompagner le jeune Pierangelo Belli suite au départ de Mario Barluzzi à l’Inter.

Et c’est à Trieste que tout se joue. En villégiature dans sa ville de naissance, Cudicini rencontre Rocco, lui aussi natif de la capitale de la Vénétie julienne. L’entraîneur rossonero ne fait pas de mystère : après l’échec des discussions avec Dino Zoff, il veut sortir Cudicini de Brescia pour le faire venir au Milan, considérant que sa carrière est loin d’être finie. Le transfert est alors acté en juillet 1967 mais les premiers entraînements de Cudicini avec sa nouvelle équipe s’avèrent bien compliqués pour lui.

« Au début, ce n’était pas facile, loin de là. Il y a eu un épisode désagréable au début de la préparation mais qui, en fin de compte, a été le point de départ de ma seconde jeunesse. Au troisième ou quatrième jour d’entraînement, Rocco m’apostrophe : ‘Eh, El Longo (le long, le grand, ndlr), si tu n’as pas envie de travailler comme il le faut, tu peux rentrer chez toi’. Il pensait sans doute que j’étais là en dilettante mais en vérité, je n’arrivais pas à suivre le rythme de ses entraînements. Je comprenais alors que si je ne voulais pas décevoir celui qui avait cru en moi, je devais serrer les dents, donner tout ce que j’avais. »

La blessure rapide du jeune Belli met fin aux hésitations que Rocco aurait pu avoir sur le numéro 1 des cages milanaises. A 32 ans, celui qui n’a jamais connu l’honneur de la Nazionale car barré par Dino Zoff et Enrico Albertosi devient titulaire d’une équipe qui enchaînera les titres. Dès la saison 1967-1968, le Milan renoue avec le Scudetto six ans après le dernier. Cudicini – bien aidé par la défense composée notamment de Karl-Heinz Schnellinger et Angelo Anquilletti – garde sa cage inviolée pendant 1132 minutes à domicile, soit plus de 12 matches. Le triestino remporte ainsi son premier titre national à presque 33 ans, lui offrant une reconnaissance méritée. Après le scudetto, c’est la Coupe des Coupes qui tombe dans l’escarcelle rossonera avec une victoire 2-0 face à Hambourg en finale. Mais pour Il Paron, ces trophées acquis par ses hommes ne suffisent pas, il faut viser plus grand.

Sortie de Cudicini au plus près lors d’un derby dans la capitale lombarde. On reconnaît la légende interista Sandro Mazzola à l’arrière-plan (short noir).

Au bénéfice de ce scudetto, le Milan est donc qualifié pour la Coupe d’Europe des clubs champions. Après avoir disposé de Malmö et du Celtic, les rossoneri affrontent en demi-finale le Manchester United de Bobby Charlton et George Best. La victoire 2-0 acquise au match aller à San Siro devant plus de 85000 tifosi entrouvre les portes de la finale à l’équipe emmenée par Rocco. A Manchester, au retour, l’ambiance est électrique. Dans sa cage, Cudicini reçoit un projectile lancé des tribunes et le jeu est arrêté quelques minutes le temps que le portier reprenne ses esprits. Les assauts des Red Devils se multiplient mais El Longo enchaîne les arrêts et malgré l’ouverture du score par Charlton en fin de match, le Milan se qualifie. Les médias anglais saluent unanimement la prestation du gardien milanais intégralement vêtu de noir et, encore marqués par les performances du légendaire Lev Yashin lors de la Coupe du Monde disputée en 1966 en Angleterre, lui prêtent le surnom de black spider, qu’il rapportera avec lui en Italie.

En finale, à Madrid, l’Ajax de Johan Cruyff est balayé 4-1 (triplé de Pierino Prati). Le Milan ramène ainsi sa deuxième Coupe d’Europe des clubs champions et grâce à cette victoire, Cudicini devient le premier joueur à avoir remporté les trois coupes d’Europe existant alors (C1 et C2 avec le Milan, C3 avec la Roma). Les rossoneri n’arrivent pas à conserver leur titre en Serie A, en ayant toutefois réussi l’exploit de n’encaisser que 12 buts en 30 matches. Au mois d’octobre 1969, le Milan dispute la Coupe Intercontinentale en sa qualité de vainqueur de la C1, qui l’oppose au tenant du titre de la Copa Libertadores, l’Estudiantes La Plata. Le match retour en Argentine est une apologie de la violence mais les rossoneri sortent victorieux, empochant ainsi leur première Coupe Intercontinentale.

Un ultime trophée en 1972 avec le Milan, la Coppa Italia, permet à Cudicini de conclure sur une note positive son étonnante carrière de joueur professionnel. Le ragno nero semblait avoir connu l’apogée de celle-ci avec la Roma sans avoir pour autant amassé des titres et, sans la persuasion dont a fait preuve son compatriote triestino Rocco, il se serait peut-être contenté de cela. Le challenge rossonero est finalement arrivé à point nommé. Au crépuscule de sa carrière, de 32 à 37 ans, il a gagné des titres prestigieux, la reconnaissance définitive de ses pairs et un surnom mythique, endossant à 183 reprises sa tunique (rouge et) noire.

« La récolte a été bonne cette année »

Suite à son retrait du football, il a monté à Milan une entreprise spécialisée dans les revêtements de sol – encore active à ce jour – dont le logo n’est autre qu’une araignée. Sa renommée fait mouche pour décrocher des contrats, notamment auprès d’un ambitieux entrepreneur lombard tifoso du Milan, Silvio Berlusconi. Son fils Carlo s’est lui aussi lancé dans une carrière de joueur professionnel en étant formé au Milan et disputant 3 matches officiels en rossonero au début des années 1990, avant de faire son trou à Chelsea entre 1999 et 2009. Une autre affaire de famille.

  • Antoine Yves Balogog

    Très bel article, merci de nous raconter d’aussi belles histoires illustrant le passé glorieux du Milan.

  • Sandro Vettese

    Très belle article, pourquoi êtes vous moins actifs ces derniers temps ?

    • Shevchenko_7

      Ils ont un travail et une famille à côté

    • Roland

      En effet. Les disponibilités de l’équipe se sont considérablement réduites cette année. Nous rappelons d’ailleurs que nous alimentons le site sur notre temps libre et il s’avère que nos vies professionnelle (nous n’avons plus la liberté de notre époque étudiante) et personnelle nous laissent tout juste le temps de pouvoir regarder les matches. Il devient alors d’autant plus compliqué d’alimenter le site autant que nous le souhaiterions. Nous sommes toutefois toujours preneur de candidatures pour intégrer l’équipe, afin de permettre au site de vivre encore longtemps !

  • Darb rossonero

    Merci pour cet article

  • No’am De Nazareth

    Forza Milan per sempre

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