A l’heure où la tifoseria rossonera espère une arrivée prochaine de Sandro Tonali, les négociations perdurent pour un autre transfert au milieu de terrain. Voilà plusieurs semaines maintenant que le nom de Tiémoué Bakayoko est de nouveau associé au Milan. L’indésirable numéro 1 de Chelsea n’a pas vu sa cote augmenter dans son propre club ni dans d’autres équipes susceptibles d’être intéressées et il se retrouve donc à la case départ : quitter Londres pour voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. En dépit de son statut de parfait boulet, Chelsea n’entend pas faire dans la charité, malgré les 5,5M€ de salaire annuel net que le Français perçoit, malgré les deux ans de contrat qu’il lui reste avec les Blues. Bref, pour ces derniers, Bakayoko doit partir mais il vaut toujours 35M€. Or, puisqu’il manque souvent d’inspiration, le Milan s’est aligné cet été, comme si la première fois n’avait pas suffit. Il a été jugé que le joueur de 26 ans pouvait être une bonne solution pour l’équipe de Stefano Pioli, au point de s’embarquer dans d’interminables négociations avec Chelsea, soi disant en passe d’aboutir depuis près de 2 semaines… mais était-ce bien opportun ?
Habituellement, on dit qu’avec le temps, on prend plus facilement du recul sur les événements passés, ce qui serait d’autant plus vrai dans le football. Au fléau de la culture de l’instant, on oppose la raison et l’analyse à tête reposée. Pourtant, si l’on s’intéresse aux tifosi du Milan, on constate que pour une immense majorité, Tiémoué Bakayoko a laissé un bon souvenir de son passage en rossonero lors de la saison 2018-2019. Le Français représente encore aujourd’hui un idéal de footballeur, musculeux, rugueux, endurant. Il n’en fallait pas plus pour que quelques lumières de la Curva Sud – oui, celles qui ont sifflé Maldini et affiché leur mépris envers Ambrosini, par exemple – composent un chant à la gloire du parisien de naissance, privilège normalement réservé aux joueurs d’exception. D’une certaine façon, comment leur en vouloir ? Depuis près de 10 ans maintenant, le tifoso milanais est nourri au pendant footballistique des coquillettes Eco+ : le milieu de terrain adroit avec ses pieds jouant avec la tête levée a disparu au profit du sprinter-déménageur. Privé de football, San Siro a idolâtré le banal Tiémoué.
Car pour trouver trace d’une bonne saison de Bakayoko, il faut remonter à la saison 2016-2017, lors du fameux titre de champion de France de Monaco. Depuis ? Une saison cauchemar à Chelsea, un exercice moyen en Lombardie et un retour manqué sur le Rocher. En une saison, le Milan, quant à lui, a bien changé, surtout après le confinement. L’abandon du 4-3-3 par Stefano Pioli au profit du 4-2-3-1 a permis à l’équipe rossonera de trouver un équilibre qui lui faisait cruellement défaut par le passé et, surtout, de se remettre à proposer du jeu. Non pas que le Milan soit devenu une machine à jouer avec un style bien identifiable et efficace mais il a repris l’initiative sans être paniqué à l’idée d’avoir le ballon. De nombreux facteurs peuvent expliquer cette embellie sportive – choses évoquées au cours de l’émission bilan de la saison sur CasaMilan – dont le milieu de terrain du système Pioli, qui a diablement gagné en prérogatives. Tout d’abord, ce nouveau système a permis à Franck Kessié de voir ses responsabilités plus encadrées et d’être finalement plus libéré dans son jeu. Il reste bien sûr à l’Ivoirien à confirmer le niveau affiché lors des six semaines post reprise. En outre, l’élément essentiel a été le recrutement puis les performances d’Ismaël Bennacer, venu confirmer que l’on joue plus facilement au football avec un joueur sachant se servir aussi bien de sa tête que de ses pieds et de son corps malgré un gabarit guère imposant.
Puisque les deux habitués de la CAN sont à l’heure actuelle intouchables (dans la mesure où le milieu à 2 sera très probablement maintenu), quelle pourrait être la place de Bakayoko dans cet effectif ? En effet, il est bon de rappeler qu’à l’époque où il était précipitamment portée aux nues pour ses prestations, le jeu du Milan était tout autre. L’équipe dirigée par Gattuso avait plutôt tendance à refuser le ballon car elle n’était pas capable de l’exploiter convenablement. De même, elle était très courte : l’espace entre les différentes lignes était très limité en phase de non possession. La densité apportée dans l’entrejeu favorisait inévitablement un profil ‘lourd’ comme celui de Bakayoko, qui devait partir de moins loin pour compenser ses erreurs. Dans le schéma de Pioli, il n’y a finalement plus de place pour un simple ratisseur de ballons. Bakayoko semble dès lors voué à un rôle de remplaçant, sans offrir de complémentarité à son entraîneur. Et ce rôle-là est à l’origine d’autres interrogations, plus administratives celles-ci.
A en croire les médias italiens qui annoncent tous les jours que les négociations avancent et que filtra ottimismo, le retour de Bakayoko devrait se faire dans le cadre d’un prêt payant d’un an avec option d’achat. Le montant de l’option devrait être d’environ 30M€ mais rien est sorti concernant celui de l’année de prêt. Prendre un remplaçant en prêt, oui, pourquoi pas, surtout dans la situation actuelle du Milan. Toutefois, là où le bât blesse, c’est concernant le salaire. A Chelsea, Bakayoko bénéficie d’un salaire annuel net d’environ 5,5M€ qui avait été entièrement pris en charge par Monaco lors de son prêt la saison dernière. Il est évident que le Milan surveillé de près par l’UEFA ne pourra pas se le permettre, d’autant plus après avoir déjà cédé pour les 7M€ annuels de Zlatan Ibrahimović. Quand bien même négociations il y aura, Bakayoko n’aura très probablement pas envie de descendre au niveau du salaire des deux titulaires du milieu de terrain (entre 2 et 2,5M€) mais voudra au plus reprendre les 3,5M€ qu’il avait touché lors de son premier passage au Milan.
Est-ce bien raisonnable, du point de vue du club ? Avec des comptes sous surveillance et une situation financière précaire malgré les colossales efforts fournis pour diminuer une masse salariale gargantuesque lors des trois dernières sessions de mercato, il n’est pas dans l’intérêt du club d’engager le recrutement d’un remplaçant à ce niveau de dépense. Le potentiel rendement sportif de Bakayoko est déjà bien trop aléatoire pour justifier un tel salaire. Le joueur est ‘prisonnier’ de son contrat anglais – à tort ou à raison, là n’est pas la question – mais ce n’est pas au Milan de se soumettre à cette exigence, d’autant plus au vu de la formule du transfert. A titre d’exemple, nous avions récemment parlé du profil de Florentino Luís dans notre dossier mercato : celui-ci pourrait prochainement rejoindre Fulham selon le même type de formule que Bakayoko mais avec un coût légèrement moindre et surtout avec un salaire deux fois moins élevé. N’aurait-ce pas été plus judicieux pour le Milan qui s’est semble-t-il orienté vers la jeunesse montante ou, à défaut, la réelle expérience du haut-niveau ?
Enfin, il y a un domaine qui aurait dû exclure de fait le retour de Bakayoko au Milan, c’est le comportement. N’oublions pas que lors de la saison 2018-2019, le Français s’est signalé à plusieurs reprises pour une attitude particulièrement irritante et indigne du club. Vous direz qu’on a l’habitude mais il n’est jamais bon de s’habituer à la médiocrité. A l’époque, ses retards à l’entraînement avaient provoqué à juste titre le courroux de Gennaro Gattuso. Que dire en outre de son attitude minable – en duo avec Kessié – arborant le maillot de Francesco Acerbi comme un trophée sous la Curva Sud pour moquer le capitaine laziale au soir d’une victoire sur l’équipe romaine ? Heureusement, le destin s’en était chargé puisque la semaine suivante, la Lazio obtenait à San Siro sa place pour une finale de Coppa Italia qu’elle allait finalement remporter. Revenons aussi au statut de remplaçant qui semble attendre Bakayoko si Pioli ne bouleverse pas son équipe qui tourne : c’est dans cette position que l’ex monégasque avait insulté le Mister en pleine rencontre, refusant d’entrer en jeu. Acceptera-t-il d’avoir un rôle restreint dans un collectif huilé comme on a pu le voir en fin de saison ?
En somme, ce retour de Bakayoko pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Sans compter qu’au Milan, la soupe réchauffée a rarement été aussi bonne que la première fois.