« Ma préoccupation est celle de voir le Milan redevenir un protagoniste de premier plan en Italie, en Europe, et dans le monde ». Ces propos, signés Silvio Berlusconi en mai 2015, illustrent la volonté du vieillissant mais omnipotent magnat politico-économique italien d’ouvrir une nouvelle ère au sein du club rossonero, qu’il dirige d’une main de fer depuis maintenant 30 ans.
Car après environ 25 ans d’investissements continus, qui ont permis de faire du club lombard l’une des places fortes du football européen, l’intarissable source financière que constituait le président milanais, qui a particulièrement profité au Milan durant plus de vingt ans (mais également profité au principal intéressé, comme tout bon businessman), s’est fortement tarie ces dernières années, comme en témoigne la politique des transferts « low-cost » menée de manière parfois erratique ces dernières années par son numéro deux de toujours, Adriano Galliani.
Face à la perte de vitesse du club rossonero, en Italie d’une part, et en Europe d’autre part, il y a désormais urgence à ouvrir le capital de l’institution milanaise afin de redresser la barre, afin de relancer la compétitivité sportive d’un club dont les lettres de noblesse ont été particulièrement écorchées ces dernières années à la faveur de prestations sportives indigentes et d’une gestion à la petite semaine.
C’est pourquoi Silvio Berlusconi est désormais prêt à partager une part du bijou de famille milanais, afin de pouvoir de nouveau jouir de manière indirecte de son aura comme il l’a si bien fait dans le courant des années 90/2000 à des fins politiques notamment. Néanmoins, au regard du personnage, cette ouverture du capital s’avère évidemment particulièrement conditionnée. Ce qui est sans doute la cause des balbutiements auquel fait face ce dossier depuis bientôt un an. Tentons ainsi d’éclaircir ce dossier, crucial quant à l’avenir du club rossonero sur la scène européenne.
Les conditions du « deal » souhaité par Berlusconi sont connues depuis plusieurs mois à présent, lesquelles sont peut-être à même d’expliquer les difficultés de ce dernier à sceller un accord à ce jour. En effet, nulle cession de la majorité du capital du Milan n’a été envisagée par son président : en se préservant une détention majoritaire au sein du capital de l’institution lombarde, Berlusconi entend toujours bénéficier d’un pouvoir décisionnel lors des assemblées générales de l’institution rossonera.
Cet élément confirme ainsi sa volonté première, à savoir une collaboration avec un investisseur tiers, essentiellement destinée à offrir une capacité d’investissement que n’est pas ou plus en mesure d’offrir l’actuel capitaine du navire milanais. Or, avec une estimation comprise aux alentours du milliard d’euros quant à la valeur totale des actions composant le capital du club rossonero, la détention minoritaire du Milan se paie cher, très cher même : la promesse de cession et d’achat réciproque des actions équivalant à 48% du capital du Milan signée entre Silvio Berlusconi (au travers de sa holding Fininvest) et Bee Taechaubol a été évaluée à la somme de 480 millions d’euros selon la presse italienne.
A titre de comparaison, la vente du Paris Saint-Germain a été actée pour une somme comprise entre 50 et 70 millions d’euros au bénéfice de QSI en 2011 (pour 70% du capital, outre la cession du passif du club) puis en 2012 (pour les 30% du capital restant). On peut également évoquer le FC Valence, dont la cession s’est réalisée moyennant le versement d’une somme de 94 millions d’euros par le singapourien Peter Lim pour l’entier capital du club valencian selon la presse ibérique, outre la cession du passif du club, évalué à la somme de 230 millions d’euros.
Bien évidemment, l’image ainsi que le palmarès du Milan sont des éléments nullement comparables avec celui des clubs précités, mais ces exemples tendent à préciser que le chiffre avancé par Silvio Berlusconi quant à la valeur monétaire du club s’avère particulièrement conséquent, pour un club à l’attractivité atteinte par ses résultats récents, et n’étant par ailleurs que locataire de son stade, San Siro.
C’est pourquoi il apparaît à l’heure actuelle difficilement concevable pour Silvio Berlusconi de maintenir de telles prétentions, à même de refroidir de multiples investisseurs, qui malgré un investissement conséquent, demeureraient en minorité au sein de l’actionnariat du club rossonero.
Cet élément est ainsi en mesure d’expliquer pourquoi seul un certain Bee Taechaubol s’est uniquement manifesté de manière concrète pour l’acquisition de ces 48% du capital de l’AC Milan à l’évaluation conséquente, quand d’autres investisseurs ont conditionné leur entrée au sein du club à une prise de participations à hauteur de 50% (avec une option portant sur l’acquisition du même total correspondant sous plusieurs années), contre une somme réduite à 340 millions d’euros, s’agissant notamment d’un consortium chinois dont l’intérêt a récemment été évoqué.
Bee Taechaubol, investisseur thaïlandais de 40 ans, est actuellement à la tête de la société « Thai Prime Company Limited », société d’investissement privée, dont l’activité est tournée autour de la prise de participations au sein de sociétés non cotées en bourse en vue d’aider à leur développement. Ce dernier est en outre le président de la société thaïlandaise « Electronics Industry Company », spécialisée dans la production de semi-conducteurs.
En outre, le bien nommé Mister Bee dispose d’un patrimoine estimé à 1.2 milliards de dollars par la presse italienne, en grande partie issue d’un héritage familial, étant le fils de riches investisseurs. Cerise sur le gâteau, Taechaubol serait un tifoso rossonero de la première heure, tandis que son goût pour le football s’était déjà exprimé au travers de son actionnariat (à hauteur de 30%) au sein de « Global Legends Series », organisateur de rencontres entre anciennes gloires du football mondial (telles que Shevchenko, Seedorf, Cafu, Nesta…).
Un « background » tout à fait respectable, donc. Lequel amène cependant à s’interroger s’agissant d’une prise de participation conséquente, mais minoritaire, au sein d’un club de football, évalué à presque un demi-milliard d’euros. A ce titre, les multiples reports quant au « closing » de cette opération (ndlr, en jargon financier, la date de réalisation définitive de l’opération) ayant eu lieu ces derniers mois sont de nature à préciser la fragilité du deal proposé par Silvio Berlusconi et accepté par l’investisseur thailandais.
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Petit retour en arrière. En juin dernier, un acte officialisant le début des négociations en vue de la recherche d’un accord a été signé par les parties prenantes de l’opération, lesquelles s’étaient engagées à trouver un accord portant sur la cession de 48% du capital du club sous un délai de huit semaines. Cet accord a pris la forme, en août 2015, d’une vente sous la condition suspensive de la réunion des fonds sous un délai déterminé, délai au terme duquel le magnat thaïlandais devra procéder au versement des 480 millions d’euros nécessaires à la réalisation de l’opération, en vue d’entériner son entrée au sein du conseil d’administration de l’institution rossonera. Un terme fixé au 30 septembre 2015 a été ainsi évoqué.
Ainsi, Taechaubol se devait d’apporter dans le cadre de cette opération des fonds destinés à combler l’investissement de près de 80 millions d’euros réalisé par le club lors du dernier mercato estival, destiné à embellir « la mariée ». De plus, cette entrée au capital aurait eu un impact sur la tenue du mercato hivernal, puis estival de l’été 2016.
La lune de miel a toutefois pris du plomb dans l’aile courant septembre. En effet, un délai supplémentaire a été sollicité par le principal intéressé pour réunir les fonds nécessaires à la finalisation de son entrée au capital fin septembre dernier. Une partie de la presse italienne ne cache alors pas son scepticisme à l’égard de cet inconnu, médiatisé du jour au lendemain, pour l’acquisition d’une partie du capital de l’un des clubs les plus titrés au monde.
Courant novembre 2015, des signes de légers mouvements sont perçus par la presse italienne, qui croit alors savoir que des opérations de vérification ayant été mises en oeuvre par Fininvest pour s’assurer de la solvabilité de Taechaubol se sont avérées positives. Un bouclage de l’opération pour la fin de l’année est alors attendu et espéré. Néanmoins, ce dernier n’a pas lieu au terme de l’année 2015, soit dix mois après que le nom du thaïlandais fut associé pour la première fois au club rossonero.
Pire, les partenariats annoncés par la presse italienne entre Taechaubol, diverses banques et fonds d’investissements ne se sont guère concrétisés. En effet, le fonds d’investissement « China Media Capital Holdings » et la banque chinoise « CITIC Capital », annoncés comme potentiels partenaires de Taechaubol, n’ont guère tergiversé au moment de débourser, fin 2015, 377 M€ pour entrer au capital de la holding détenant notamment Manchester City dénommée « City Football Group », et ce à hauteur de 13% seulement. Mister Bee, un partenaire risqué, pour la mise en oeuvre une opération surévaluée ?
Il est permis de se poser la question, lorsque la presse thailandaise annonçait fin 2015 que Taechaubol n’avait réussi à réunir que 140M€ sur les 480M€ attendus pour le succès de l’opération ! La récente réunion ayant eu lieu entre Mister Bee et Berlusconi courant janvier n’a guère apporté d’indications quant au devenir d’une opération à l’heure actuelle compromise.
Il ressort ainsi de ce flashback le goût amer d’une opération mort-née au regard de ses termes (480M€ pour l’acquisition de 48% des parts d’un club en perte de vitesse, qui ne peut décemment uniquement capitaliser sur son nom !) et au regard des parties en présence dans l’opération, au premier chef Bee Taechaubol, dont l’appétit fut plus grand que ses réelles capacités d’investissement.
A ce titre, Mike Ozanian, journaliste au sein du magazine économique américain Forbes, semble avoir résumé la situation de manière limpide, après avoir déclaré que la médiatisation de cette opération lui profitait avant tout, espérant que cette dernière pouvait être menée à bout avec l’arrivée d’autres investisseurs intéressés par son opération avec Silvio Berlusconi, à même de contribuer au versement des 480M€ nécessaires à cette prise de capital. Ce qui fut manifestement un échec, le principal intéressé étant désespérément à la recherche de partenaires financiers d’envergure pour mener à bien une opération dont les contours ont été définis depuis huit mois à présent.
Les jurisprudences Jack Kachkar à l’Olympique de Marseille (2007), Edward Blackmore/Prince Mohammed Bin Abdulrhamann Bin Abdulah Al Faisal d’Arabie Saoudite à l’OGC Nice (janvier 2015, ndlr, tous deux présentés à la presse par le président Jean-Pierre Rivère, avant que les garanties financières attendues n’aient pas été apportées…) témoignent d’ailleurs de situations sensiblement similaires (un investisseur annoncé et adoubé par les dirigeants, disparaissant ensuite les garanties financières/l’apport sollicité).
L’absence de lucidité de Silvio Berlusconi, dirigeant s’étant de facto placé hors des réalités économiques par les conditions posées pour la vente d’une partie du capital du club, ainsi que la volonté manifeste mais illusoire d’un homme d’affaires aux capacités d’investissement très largement surévaluées, ne pouvait entraîner qu’une situation de blocage aujourd’hui constatée.
A moins que Bee Taechaubol parvienne in extremis à trouver des partenaires financiers à même de lui permettre d’honorer l’accord conclu avec Silvio Berlusconi en juillet 2015 (au travers de sa holding Fininvest), la vente d’une partie du capital du club aux conditions actuellement fixées par le truculent dirigeant du club rossonero ne pourra décemment avoir lieu. Néanmoins, une telle cession pourrait avoir lieu, à la condition que les prétentions financières de Berlusconi himself soient revues à la baisse. Ce qui passerait par une dévaluation inévitable mais nécessaire du club en dessous du milliard d’euros, vers une évaluation davantage cohérente, qui pourrait être comprise entre 650 millions et 700 millions d’euros.
Accepter l’entrée d’un investisseur moyennant des exigences financières élevées, pour une détention minoritaire du capital, lequel ne pourra ainsi agir que de manière limitée au sein de la direction sportive et institutionnelle du club, mais avec pour obligation d’investir sur le plan sportif s’avère être une équation inconciliable pour tout investisseur avisé. A laquelle ne pouvait toutefois succomber qu’un investisseur inconnu, cependant très vite rattrapé par les réalités financières.
C’est pourquoi un retour à des prétentions plus réalistes apparaît plus que jamais nécessaire pour Silvio Berlusconi. Car le temps presse face à la perte progressive de la valeur sportive mais aussi économique d’un club qui peine à retrouver son lustre d’antan. Lequel, à force de certitudes fondées sur son faste passé, n’a pas su prendre le train d’une gestion éclairée fondée sur le long terme…