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Erminio Brevedan, des terrains aux tranchées

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Il y a cent ans, l’humanité offrait au monde un de ses visages les plus sombres : l’instable Europe d’alors était aux prises avec une longue guerre de positions qui allait durer quatre années et enflammer plusieurs régions du monde. Tant les personnels militaires que les civils se retrouveront face à un déchaînement de haine et de violence, renforcé par une amélioration sans borne de l’armement que les avancées de la médecine ne pouvaient compenser et qui aboutira à un total estimé à près de dix-neuf millions de morts.

Durant ces semaines, ces mois, ces années, où l’insouciance et la paix n’avaient plus lieu d’être au milieu de cette Première guerre mondiale, la mort défigurait les familles en tout lieu, de toute origine, de tout milieu. Elle frappait sans distinction et n’avait donc pas épargné le Milan Foot-Ball and Cricket Club, créé le 16 décembre 1899. A l’issue du conflit, en 1918, le club milanais avait perdu quinze de ses membres au combat dont Erminio Brevedan, tué à 21 ans sur le Monte Piana en juillet 1915.

 

L’Italie en 1915

Liée à l’Allemagne et l’Autriche depuis le 20 mai 1882 au sein de la Triple Alliance, l’Italie fait pourtant le choix de ne pas entrer en guerre au côté de ses alliés à l’été 1914. Les dirigeants politiques italiens de l’époque ne voyaient dans cette alliance qu’un traité à vocation défensive, qui n’obligeait en aucun cas l’Etat italien à suivre les déclarations de guerre lancées par les deux grands empires d’Europe continentale.

Alors que le front s’immobilise dans les campagnes belges et françaises, la population italienne est divisée entre les pacifistes et les interventionnistes, parmi lesquels se trouve Benito Mussolini, fraîchement exclu du parti socialiste. Ces derniers voient en ce conflit l’occasion de récupérer de nombreuses villes de population et langue italiennes, notamment du Trentin, qui avaient été cédées à l’Autriche à l’issue des guerres napoléoniennes.

Pas insensible au nationalisme exacerbé d’une partie de l’opinion publique et à la capacité de persuasion de certains membres de son gouvernement, le Roi d’Italie Victor-Emmanuel III accepte de négocier avec les dirigeants de la Triple Entente, autre alliance militaire regroupant notamment le Royaume-Uni, la France et la Russie. Le 26 avril 1915, les représentants de la Triple Entente et de l’Italie signent le pacte de Londres : en échange de son engagement contre la Triple Alliance, l’Italie bénéficiera de nombreuses compensations territoriales à l’issue de la guerre, principalement dans les Alpes et autour de la mer Adriatique (les fameuses « terres irrédentes » de la doctrine fasciste, louées dans l’œuvre de l’écrivain décadentiste Gabriele D’Annunzio).

Le 20 mai, le Parlement vote les pleins pouvoirs au gouvernement afin que celui-ci soit complètement en mesure de gérer les affaires du conflit qui s’annonce. Deux jours plus tard, la mobilisation générale est décrétée et, tournant donc le dos à la Triple Alliance, l’Italie déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie le 23 mai 1915.

 

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Le Milan des années 1910

Créé à la fin de l’année 1899 à l’initiative de l’Anglais Herbert Kilpin, le Milan Foot-Ball and Cricket Club n’avait pas tardé à se forger un palmarès, remportant trois scudetti en 1901, 1906 et 1907. Après ce dernier titre, la Fédération italienne de l’époque avait décidé d’interdire les joueurs étrangers dans le championnat, empêchant le Milan de défendre sa couronne. Finalement, le club se pliait à cette exigence en 1908, ce qui eut pour effet de provoquer le départ de Kilpin et la création du Foot-Ball Club Internazionale par un groupe de dissidents.

En 1909, Piero Pirelli, fils du fondateur de l’entreprise de pneumatique du même nom, prend la direction du club : l’équipe termine vice-championne en 1911 et 1912 derrière la Pro Vercelli et ne gagne plus de titre. C’est aussi l’époque où apparaissent les premières bandiere du Milan, joueurs emblématiques aux qualités reconnues. Citons par exemple le gardien Luigi Barbieri aux 104 matches en rossonero entre 1908 et 1916, l’arrière droit Marco Sala (122 matches sur la période 1908-1920) et évidemment le capitaine et attaquant belge Louis Van Hege, dixième meilleur buteur de l’histoire du club avec 97 buts en 88 matches de 1910 à 1915.

La saison 1913-1914 est une immense déception pour un Milan qui court après un premier titre depuis 1907. La Prima Categoria, la Serie A de l’époque, se déroulait selon un système particulier : l’Italie était divisée entre une zone Nord et une zone Centre-Sud. Au sein de ces zones, plusieurs sections régionales étaient organisées : les équipes mieux classées de ces sections s’affrontaient entre elles lors d’un second tour jusqu’à ce que la meilleure équipe de la zone Nord soit opposée à la meilleure de la zone Centre-Sud dans une finale pour le titre de championne d’Italie.

Le MFCC ne se sort même pas de la section lombarde malgré onze victoires, contrairement à l’Inter et à la Juventus, et voit donc sa saison prendre fin le 1er mars 1914 sur un triste match nul face à l’US Milanese. A l’aube de l’exercice 1914-1915, que le Milan attend avec de plus grandes ambitions, le club enregistre notamment le renfort d’Erminio Brevedan, jeune attaquant du Foot-Ball Club Volontari de Venise.

 

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Louis Van Hege, dixième meilleur buteur de l’histoire du Milan

 

Un trévisan au Milan

Erminio Brevedan naît à Trévise, en Vénétie, le 28 novembre 1893. Durant ses jeunes années, il fréquente une école privée dirigée par Giuseppe Bindoni, universitaire reconnu de la ville. Malgré des cours principalement orientés vers les lettres, Brevedan s’inscrit ensuite à l’Institut technique provincial Jacopo Ricatti dont il est diplômé en comptabilité en 1913. Le jeune trévisan occupait alors son temps libre entre le vélo et le football, sport en pleine expansion dans l’Italie de l’époque. Après avoir évolué dans des équipes de sa ville natale, Brevedan rejoint en 1913 le FC Volontari à Venise, club créé en 1909 et qui reçoit le droit de disputer la Prima Categoria pour la saison 1913-1914.

Cette promotion pour le jeune club vénitien n’a pas véritablement été un cadeau : celui-ci termine huitième sur neuf dans une section Vénétie-Emilie survolée par Vincenza et le Hellas, avec 66 buts encaissés en 16 matches et seulement 19 marqués, dont 7 par le seul Brevedan.

Ce manque de résultat, conjugué à la concurrence du Venezia FC créé en 1907 et au faible engouement pour le football dans la cité des doges aboutissent à la disparition des volontari en 1914, après seulement cinq ans d’existence.

Alors que de nombreux joueurs rejoignent l’autre club vénitien ou restent dans la région, Erminio Brevedan est quant à lui envoyé faire son service militaire à Milan à l’été 1914. Déjà à la recherche de jeunes talents pour étoffer son secteur offensif, le club milanais accueille volontiers ce joueur prometteur.

 

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Le Milan Foot-Ball and Cricket Club au début de la saison 1914-1915 avec de gauche à droite : Pizzi, Morandi, Brevedan, Trerè, Soldera, Barbieri, Lovati, Van Hege, Scarioni, Sala, Ferrario.

A l’époque, les clubs italiens de Prima Categoria disputent presque autant de matches de championnat que de trophées locaux et tournois amicaux. Ainsi, en septembre 1914, Brevedan joue son premier match avec le MFCC au Velodromo Sempione de Milan contre le Torino, dans le cadre de la Coppa Marx (que les milanais remportent sur le score de 4-1). Le 20 septembre, le MFCC affronte le Racing Libertas Club de Milan en finale du Torneo di Milano à l’Arena Civica de la ville : les rossoneri s’imposent 5-1 avec un doublé de la recrue Brevedan, qui marque ainsi ses premiers buts pour son nouveau club.

Pour la première journée de championnat début octobre, le Milan reçoit l’Audax Modena, fraîchement monté en Prima Categoria en provenance de la Promozione. La découverte de la première division est compliquée pour le club d’Emilie-Romagne qui s’incline 13-0. Van Hege signe un quintuplé, Trerè un quadruplé et Brevedan se distingue avec un triplé pour son premier match officiel sous ses nouvelles couleurs.

Dans une nouvelle formule de championnat, le Milan sort d’abord en tête du groupe D du tournoi d’Italie septentrionale, puis à la même place dans le groupe B des demi-finales nationales. Dans le groupe national de l’Italie septentrionale, le Milan affronte le Genoa, le Torino et l’Inter et termine dernier de ce tour. C’est à l’occasion du derby du 2 mai 1915 perdu 1-3 que Brevedan joue son dernier match pour le Milan.

Aligné dans une position d’ailier grâce à sa vitesse et ses dribbles, le trévisan ne dispute que cinq matches officiels pour trois buts, le staff technique du Milan lui préférant des joueurs plus expérimentés. En parallèle, il avait évolué à cinq reprises avec l’équipe A au cours de matches amicaux et principalement avec l’équipe B du club, constituée de jeunes et d’amateurs.

 

La guerre rattrape le football

Cette saison est toutefois marquée par des difficultés récurrentes pour les clubs. En effet, le gouvernement met progressivement en place une mobilisation préventive des hommes jugés aptes au service par classe d’âge, ce qui a pour effet de décimer certaines équipes. Face à l’imminence de la guerre et donc de la mobilisation générale, la Fédération italienne suspend la Prima Categoria le 21 mai 1915 alors qu’il restait à jouer une journée et la finale nationale. Louis Van Hege, le bomber milanais, est rappelé au pays pour intégrer l’armée royale belge et le président Piero Pirelli rejoint l’armée italienne en tant qu’officier de cavalerie. Le Milan Foot-Ball and Cricket Club disparaît donc lentement, au gré de la mobilisation dans l’armée de ses joueurs et dirigeants, à laquelle Erminio Brevedan n’échappe pas.

Le jeune rossonero rejoint donc sa région d’origine dès la fin du mois de mai. Particulièrement attaché à la Vénétie, voisine des terres irrédentes, il est d’abord enrôlé parmi les cadets du peloton de complément du 8ème régiment d’infanterie. Par la suite, il est nommé au grade de sous-lieutenant dans le 55ème régiment de la Brigade ‘Marche’. Début juin, la ‘Marche’ est envoyée sur le front, où elle stationne initialement au Passo tre croci, au-dessus de Cortina d’Ampezzo, puis sur les contreforts du Monte Piana, où passe la frontière entre l’Italie et l’Empire austro-hongrois, peu de temps après la première attaque autrichienne du 7 juin.

Brevedan et ses compagnons sont affectés à différents travaux : sur ce petit plateau rocheux et chaotique que constitue le Monte Piana à plus de 2300 mètres d’altitude, les soldats taillent dans la pierre des tranchées et galeries, installent barbelés et armement. Par la suite, le mois de juin s’avère relativement calme sur le Monte Piana, l’Etat-major italien concentrant l’essentiel de ses offensives sur la région de Trente à l’Est et sur la rivière Isonzo à l’Ouest.

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Erminio Brevedan en uniforme

Le 15 juillet, le commandement décide de passer à l’action : après avoir arrosé les positions autrichiennes avec leur artillerie, les Italiens lancent la première offensive du Monte Piana. Pendant cinq jours, l’armée italienne multiplie ses attaques contre les trois principales positions autrichiennes pourtant couvertes par leur propre artillerie, qui domine le champ de bataille depuis le Monte Rudo voisin. Les deux premiers jours, le régiment de Brevedan participe aux assauts sans grand résultat avant d’être relayé pour quelques heures.

Enfin, le 20 juillet, une ultime offensive est lancée par les Italiens. La ‘Marche’ prend part au combat, avec l’ex rossonero parmi la première vague : d’abord touché au menton, il s’écroule quelques mètres plus loin après avoir reçu une seconde balle en pleine poitrine. Peu après le lever du jour le 20 juillet 1915, au Monte Piana, le sous-lieutenant Erminio Brevedan devient à 21 ans le premier joueur du Milan à mourir au combat.

Pour ce dernier jour de l’attaque, les archives italiennes relèvent 104 morts, 578 blessés et 151 disparus. Suite à ce désastre, l’Etat-major italien ne lancera plus d’offensive dans ce secteur, se contentant de se reposer sur ses positions défensives. Début novembre 1917, l’armée italienne abandonne l’endroit et l’essentiel des troupes est envoyé à l’Est pour tenter de contrer l’Autriche-Hongrie, fraîchement renforcée par des divisions allemandes, dans la bataille de Caporetto.

« Erminio Brevedan est tombé glorieusement pour la Patrie alors que ce sous-lieutenant d’infanterie guidait et menait superbement ses soldats à l’assaut d’une tranchée ennemie. Blessé une première fois, il n’abandonna pas son poste : il sembla que le sang qui coulait sur son uniforme augmentait en lui la force et l’audace.

Ainsi, déjà touché, il continua sa course vers la mort, qui fut fulgurante. Il avait vingt-deux ans ! C’était un charmant et bon garçon, sympathique, très modeste, sérieux et d’un tempérament jovial ; un athlète dans le véritable sens du mot, très robuste et pourtant gentil ! »

G.Wilmant, secrétaire du Milan, dans l’hebdomadaire « Il Football » du samedi 14 août 1915

 

Le souvenir des rossoneri

Si Erminio Brevedan demeure le premier joueur du Milan à mourir au combat, il n’est pas le seul membre ou ancien du club à ne pas être revenu de la Grande guerre. Le 4 novembre 1920, alors que le club avait repris son activité sous le nom de Milan Foot-Ball Club, une plaque avait été inaugurée sur les murs des vestiaires du terrain fréquenté à l’époque par le Milan, en mémoire des victimes rossonere de la Première guerre mondiale. Parmi elles se trouve Enrico Canfari, un des fondateurs de la Juventus avant de devenir joueur du Milan, tué en 1915 lors de la troisième bataille de l’Isonzo.

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