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Boateng à cœur ouvert

Kevin Prince Boateng, symbole du nouveau Milan version Allegri. Tantot exaspérant, tantot exceptionnel, le milieu germano-ghanéen cultive une sorte de caractère entre normalité et particularité, issue notamment de son enfance difficile du coté de Berlin. So Foot (www.sofoot.com) est parti à la rencontre de ce dernier à Milan, qui s’est livré sans langue de bois au magazine footballistique décalé. Extraits :

Tu te fais parfois surnommer « Ghetto kid ». Ca vient d’ou ?

« C’est un surnom que les gens m’ont donné. Pour Zlatan, c’est Ibracadabra. Pour moi c’est là d’ou je viens, c’est-à-dire un quartier de Berlin (Wedding ndlr) que les gens en Allemagne considèrent comme un ghetto. Donc voilà « Ghetto Kid ». Je viens de là-bas et j’en suis sorti ».

 

(…)

Comment qualifierais-tu ton enfance ?

« Heureuse, pas heureuse, c’est difficile à dire. Quand tu es enfant, la manière dont tu grandis, c’est normal pour toi. Parfois il n’y a avait rien dans le frigo, bon, bah j’allais chez mes potes juste pour me nourrir. Mais est-ce que ça en fait une enfance malheureuse ? Je ne dirais pas ça. Lorsqu’elles sont dans le besoin, beaucoup de personnes deviennent agressives car elles estiment qu’elles méritent mieux. J’ai tellement d’amis qui sont allés en prison, ou se sont fait poignarder… Le meilleur exemple, c’est mon grand frère. J’ai vu ce frère qui allait devenir footballeur professionnel et qui a merdé. Ca a été ma chance. Car si c’est quelqu’un d’extérieur qui te dit : « J’ai quelqu’un dans ma famille qui… », tu t’en fous. Mais là, ça m’a aidé à transformer ma rancœur en quelque chose de positif. J’ai réussi à devenir footballeur et j’en suis fier. J’espère etre une idole aujourd’hui pour les gens qui vivent là-bas ».

 

Tu es un fils de parents divorcés. Comment était-ce ?

« Parfois, je voyais les autres familles et je me disais : « Waouh, regarde c’est Noël, ils sont tous ensemble. » Mais honnêtement, cette situation était normale pour moi. Ce n’est pas comme si nous avions vécu ensemble avant, et qu’on avait été séparés d’un coup. J’ai surtout vécu avec mes sœurs et mon grand-frère. Mais pas avec mon frère Jérôme, ni mon père. Lui, dans toute ma vie, j’ai du le voir une quinzaine de fois. Il n’était pas là. Peut-etre qu’à des moments j’aurais eu besoin de mon père pour me dire : « Fais pas ci, fais pas ça ». Mais à 16 ans c’était trop tard (son père a tenté de renouer un contact sérieux quand Kevin est devenu pro mais ce dernier l’a envoyé balader). »

 

Ca t’a renforcé ?

« Bien sur. Un jour, je me suis réveillé et je me suis dit : « à partir de maintenant, je vais décider de ma vie tout seul. Jusqu’à la fin de mes jours, je veux décider seul ». Peut-etre que cela aurait été mieux que quelqu’un me dise ce que je devais faire ou non, que cela me revenait cinq fois plus fort dans la gueule lorsque je me trompais. Mais j’étais seul, et aujourd’hui, personne ne peut me dire d’aller à gauche, à droite, de faire ci ou de ne pas faire ça. Je peux me tenir debout et dire : « Je l’ai fait et je l’ai fait seul ».

 

Quelle est aujourd’hui ta relation avec ton frère Jérôme (ci-dessous), qui est défenseur central du Bayern Munich ?

« On se parle presque tous les jours. Il y’a forcément une distance car ce n’est pas un frère avec lequel je me suis réveillé chaque matin et avec lequel je me suis couché chaque soir. Et puis nos mentalités sont différentes, parce que lui a vécu dans un meilleur environnement. Mais nous sommes devenus très, très bons amis. Je l’aime comme un frère. Après, c’est comme toujours : je peux ne pas aimer ce qu’il dit, et lui ne pas aimer ce que je raconte. Avec ton meilleur ami, ton père, ta mère, tu as ce type de problèmes. Mais ce n’est pas grave ».

 

 

(…)

Tu penses réellement que tout presse est bonne à prendre, même la mauvaise ?

« Quand j’avais entre 16 et 18 ans au Hertha et que je jouais tous les matchs, je disais aux autres : »Regarde comme c’est facile d’etre dans les journaux ! ». Je disais une connerie et le lendemain, j’étais en une du journal. Alors les journalistes ont testé mes limites, ont voulu savoir jusqu’où je pouvais aller. Ca a été une erreur de ma part. Tu ne peux t’imaginer le nombre de conneries que les gens écrivent à mon propos aujourd’hui. Faux ! Menteurs ! Mais qu’est-ce que je peux faire ? Peut-etre que certains ne m’aiment pas. Peut-etre qu’ils pensent que je suis toujours la même personne qu’à 16 ans. OK. Mais moi ce que je vois, c’est que si un gars s’assied et écrit sur moi, c’est que je dois être très important. Et tu ne trouveras pas un footballeur dans le monde qui n’aime pas voir sa tete dans les journaux. On travaille pour cela. Voir mon nom dans la presse, oui j’aime ça ».

 

Ton frère Jérôme a un jour déclaré : « Je ne me vois jouer pour aucune autre équipe que celle d’Allemagne ». Toi, pourquoi as-tu choisi le Ghana ?

« Plus jeune, je pensais comme lui. Je voulais jouer pour l’Allemagne car je me sentais allemand. Je n’ai jamais vraiment connu le coté africain de ma vie. J’ai connu toutes les sélections allemandes jusqu’aux U21. Mais ensuite, j’imagine que les responsables n’aimaient pas ma forte personnalité. Tout le monde sait que je sais jouer au foot. J’ai été sur le podium des meilleurs jeunes de la Bundesliga à deux reprises. A 18 ans, je jouais tous les matchs avec le Hertha.

Il y avait de grands joueurs comme Marcelinho, Basturk, Gilberto, Niko Kovac et pourtant ils étaient sur le banc. Mais voilà, on a eu peur que je crée des embrouilles au sein de la sélection. Et je le comprends. Si ça avait été un autre sélectionneur (à l’époque Jurgen Klinsmann, puis Joachim Low), j’aurais joué pour l’Allemagne. Mais ça n’est pas arrivé. Donc j’ai choisi de jouer pour le Ghana. Dans la vie, il faut d’abord penser à soi. Et puis je ne regrette rien : j’ai fait une coupe du monde exceptionnelle ».

 

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Tu as décidé de prendre ta retraite internationale. Pourquoi ?

« A cause de tous les voyages, les changements d’horaires… Cela n’a pas été une décision facile, mais moi et mon corps ne sommes pas habitués à endurer cela. Avec mes problèmes de genou, tous les jours je dois suivre ma thérapie, faire des exercices de kiné… Ils n’ont pas ça au Ghana. Une fois j’ai pris mon physio avec moi, mais c’est impossible à faire à chaque fois. Et puis je n’avais pas les meilleures relations du monde avec le sélectionneur (ndlr Milovan Rajevac). Tout le monde sait ça. »

 

(…)

La première fois que tu t’es rendu au Ghana, c’était quand ?

« Après la coupe du monde. Avant, même si je sais que j’ai de la famille là-bas, je n’avais pas envie. Mon père m’a toujours dit que quand la maison qu’il était en train de faire construire là-bas serait finie, on irait. Mais on n’y est jamais allé. C’est donc seulement quand j’ai rejoint les Blacks Stars que j’ai découvert ce pays. Quand j’ai vu la décontraction, les rires, je me suis dit : « Putain c’est cool ! ». En Allemagne tout est carré (il se pince les lèvres et se tient droit). Au Ghana, tu vas manger quand tu veux, tu mets la musique, tu danses en t’entrainant. Tout est plus relax ».

 

 

(…)

Tu dis que tu as une grosse personnalité. Quand tu es arrivé dans ce grand club qu’est le Milan AC et que tu as vu toutes ces fortes têtes, ça n’a pas été trop compliqué de se faire une place ?

« Non, parce qu’à ce niveau, ce qui compte, c’est le respect. Dans les grands clubs, si tu montres du respect, les gens te respectent aussi. En revanche, si tu débarques ici en ne respectant personne, c’est mort. Ils vont te tuer. Tu ne feras jamais un match. Au début, à l’entrainement, je rentrais dans tout le monde, je me bagarrais, je taclais même des superstars, rien à foutre. Mais toujours dans le respect. Le terrain, c’est le terrain. En dehors, c’est : « Tu es mon héros. Montre-moi quelque chose que je pourrais apprendre de toi ».

 

Tu as un héros ici ?

« Non, mais… Gattuso par exemple. Sa façon d’être, c’est incroyable. Si tu lui dis de manger cette table par exemple, il va le faire. Si tu lui dis qu’il y’a le scudetto au bout, il mangera toute la table. J’admire ça. Gattuso, tous les matins, il se lève, il veut jouer, il veut courir, il veut (il tape fort dans ses mains) rentrer dans quelqu’un. D’où est-ce qu’il puise toute cette énergie ? C’est génial. Ibrahimovic, pareil. Il est tellement fort qu’il pourrait prendre son temps et fumer une clope avant de marquer ».

 

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Peux-tu nous raconter le but de fou que tu as marqué contre Barcelone lors du match aller en poule de ligue des champions ? Tu fais l’amour à Abidal comme rarement.

« En fait, durant le match, je n’ai pas réalisé. J’ai fait ça sans calculer. Mais quand j’ai revu les images, je me suis dit : « Mon dieu, comment j’ai fait ça ? ». Si tu me demandais de te le refaire aujourd’hui, j’en serais incapable. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est ce qui s’est passé après. Pour te dire, j’ai reçu 200 SMS. Après, je voulais aller voir Abidal pour lui dire : « Regarde la balle, elle est par là » (il sourit). Bon, on s’est revu depuis, on a blagué ».

 

(…)

L’an dernier, lors de la célébration du titre de champion avec le Milan AC, tu as exécuté un parfait moonwalk devant un San Siro en extase. Qu’est-ce que ça représente Michael Jackson pour toi ?

« J’ai pleuré quand il est mort. J’étais en vacances à Majorque, je suis passé devant un kiosque à journaux, et j’ai vu les gros titres : « Michael Jackson est mort ». Je me suis dit que c’était des blagues. Puis j’ai acheté un journal, et j’ai commencé à pleurer. Mon ex m’a demandé ce qui m’arrivait. Elle ne pigeait pas : Michael, je ne le connaissais pas personnellement. Je lui ai répondu qu’elle ne pouvait pas comprendre. Moi j’ai grandi avec ses chansons, je les connais par coeur ».

 

Ou est-ce que tu as appris à danser comme ça ?

« Je ne sais pas ! Je me suis mis à bouger, et voilà. C’est comme quand tu joues au football, tu joues et tu te dis : « Tiens, je sais jouer au football ! ». La danse, j’ai ça dans le sang. C’est peut-etre du aux gènes de mon père. Quand j’étais jeune, il était DJ dans une discothèque. C’est surement lui qui m’a transmis ça. J’ai toujours dansé et chanté. On m’a souvent dit : quand tu ne joueras plus au football, tu devrais penser à chanter. On me dit que j’ai une jolie voix… »

 

C’est quelque chose que tu aimerais faire après ta carrière ?

« On verra. Peut-etre que je serais coach un jour… (rires). Vous m’imaginez coach ? Avec tous mes tatouages, sur le banc, en train de gueuler ? »

 

 

(…)

La plupart de tes buts sont des grosses frappes. Tu penses que ça vient de la Bundesliga ?

« C’est possible. Quand j’étais au Borussia Dortmund, Jurgen Klopp n’arretait pas de me dire que j’avais la technique, mais que ce n’était pas encore ça. Je tirais toujours très fort : parfois c’était cadré, parfois ça sortait du stade. Il m’a attrapé, et il m’a dit : « Ne tire pas si fort, tu n’en as pas besoin. Cadre tes frappes, juste. » Il était toujours derrière moi. Je pensais : « Mais ferme ta gueule, espèce de… » mais il avait raison, au fond. Il me disait que les joueurs néerlandais comme Van Nistelrooy, Huntelaar, meme Van Persie, ils ne tiraient pas fort, ils se contentaient de cadrer. Je n’ai pas arreté de travailler, et voici que cette saison, boum, boum, boum. J’ai la confiance, je tire de n’importe ou, je me dis que je n’ai plus qu’à cadrer, et que le gardien devra faire des parades incroyables pour sortir la balle.

Jurgen Klopp est le meilleur entraineur que j’aie eu jusqu’à présent. Il est gentil, il plaisante avec toi, mais à l’entrainement, il t’engueule. J’avais une relation géniale avec lui, alors qu’il ne m’a fait jouer que dix matchs (en six mois de pret). A Dortmund, les joueurs vous diront tous que c’est le meilleur. Que tu aies du caractère ou non, que tu joues ou non, il sait comment te gérer. C’est ce qu’l y’a de plus important. Si aujourd’hui Allegri, mon entraineur au Milan, vient vers moi et me dit : « Tu n’as pas marqué, t’es un trou du cul », je vais en rire, parce que je m’entends bien avec lui. S’il dit ça à un joueur avec qui ça ne se passe pas aussi bien, le joueur va se mettre à douter ».

 

(…)

Outre les grosses frappes, tu sembles également apprécier les tacles. Plutot rare pour un joueur offensif…

« C’est à Milan que j’ai décidé d’apprendre à tacler. Je me rappelle que pour mon premier match ici, j’ai mis un coup à quelqu’un. Ce n’était pas méchant, j’ai joué la balle; mais les gens criaient comme si j’avais marqué un but. Depuis, je fais tout pour leur donner ce qu’ils aiment ».

 

En tant que footballeur, as-tu l’impression de vivre dans un monde totalement différent du reste de la population ?

« C’est pas facile, en Italie en particulier, parce que les gens m’aiment. Tu veux acheter un truc à manger en vitesse, ça te prend une heure. C’est comme ça. Il y’en a qui ne sortent pas, ils envoient des gens à leur place; moi, ce n’est pas mon truc. La dernière fois, je me suis posé dans un parc, les gens se sont demandé ce que je faisais là, puis ils sont venus me voir, j’ai joué au ballon avec les enfants… Je pense que les gens m’aiment parce que je suis comme ils aimeraient que je sois, il peuvent me toucher, me parler.

Ca me stresse parfois; mais je continue à le faire, parce que j’aime ça. Une autre fois, je suis allé à l’hopital parce que ma copine avait un problème. Il était cinq heures du matin, j’étais fatigué. Et là, un médecin se pointe et me demande un autographe. J’aurais pu l’envoyer chier en le traitant de fou, mais je me suis dit que peut-etre il avait un enfant et que cet autographe lui ferait plaisir. Ca fait partie du job ».

 

Ta copine Melissa Satta a déclaré récemment que vous faisiez l’amour sept à dix fois par semaine et que c’est pour ça que tu ne récupérais pas vite et que tu étais souvent blessé. C’est vrai ?

(Ironique). Ouais, c’est vrai… Non, sérieusement, comment peut-on croire ça ? Des gens sont venus me dire sur twitter d’arreter de baiser parce que j’allais me blesser. C’est de la merde. Blessé à cause du sexe ? Conneries ! Sinon, tous les footballeurs devraient etre blessés… »

L’ensemble de l’interview est disponible en kiosques dans l’édition n°96 de So Foot, Mai 2012.

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