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Barbara Berlusconi, reine de Milan

Barbara Berlusconi, « égérie » du Milan depuis avril 2011, mais aussi actionnaire du club, ou elle porte le titre de « responsable des projets spéciaux » s’est pour la première fois confiée de manière exhaustive sur la formation dirigée par son père, Silvio, depuis maintenant 26 ans. Consommée la rupture avec Pato, consommée son installation au sein du club rossonero : Barbara a pris la mesure de son rôle au sein de l’institution rossonera, pour laquelle elle a un projet d’avenir, centré sur les jeunes, et sur une gestion responsable des finances. Un projet dont elle a longuement esquissé les traits dans les colonnes du quotidien sportif français L’Equipe de ce lundi, dont voici les meilleurs extraits.

Depuis que votre père est devenu propriétaire du club en 1986, l’AC Milan a acheté de nombreux grands joueurs. L’été dernier, c’est le club qui a le plus vendu en Europe. Pourquoi un tel renversement ?

« Ce n’est pas Milan qui a changé, c’est la réalité dans laquelle nous évoluons. Le modèle économique sur lequel nous avons grandi – celui d’un mécène passionné qui finance le club – était excellent mais il n’est plus adapté à la situation d’aujourd’hui. L’Europe est frappée par la crise et, paradoxalement, le foot est un secteur qui connait encore la croissance. Pourtant, il vit de plus en plus à crédit. on a vu récemment, au niveau des Etats, les scénarios très graves auxquels pouvait mener l’endettement excessif. Les clubs de foot sont des entreprises comme les autres, qui ne peuvent pas générer sans cesse plus de dettes. Il faut donc que le club devienne capable de vivre sur ses ressources propres. Le modèle, c’est le Bayern Munich : il a cette autonomie, un excellent chiffre d’affaires, des bénéfices et évolue au plus haut niveau chaque saison ». 

L’année dernière, Adriano Galliani, administrateur délégué de l’AC Milan, expliquait que le fair-play financier mis en place par l’UEFA allait « faire mal aux clubs italiens ». Aujourd’hui vous défendez la meme idée que Michel Platini : les clubs ne doivent pas dépenser plus d’argent qu’ils n’en génèrent…

« Cette direction est aujourd’hui la seule possible. Et je ne la prends pas à cause de l’UEFA mais parce que j’en suis convaincue. Regardez ces chiffres (elle montre une étude du cabinet Deloitte portant sur les finances des clubs de première division européen en 2010). Ce que les clubs possèdent, leurs capitaux propres, ce n’est aujourd’hui que 9% de leurs moyens de financement. Les dettes vers les banques ou vers des tiers représentent, elles, plus de 50%. Cela veut dire que les gens qui font le foot ne le possèdent pas, ou alors à minima, et que si, un jour, les banques ne les soutiennent plus, cette réalité s’écroulera ».

 

Vous nous expliquez que l’AC Milan a choisi cette nouvelle voie. Mais le fait que d’autres entreprises possédées par votre famille rencontrent des difficultés, en raison de la crise économique, ne vous a-t-il pas contraint à prendre ce virage ?

« (L’air grave). Il y’a des moments ou il est nécessaire de prendre des décisions. Nous nous sommes retrouvés face à une réalité qui nous a poussés à décider. Mais ce sera positif pour Milan. Le modèle que nous choisissons est celui qui nous donnera le plus de croissance dans un futur proche ».

Mais vous renoncez à un autre modèle avec lequel Milan a gagné de nombreux titres…

« Le monde du foot n’aime pas trop les changements et, dès qu’il en perçoit un, c’est l’affolement. Pour évaluer une stratégie comme la notre, il faut peut-être dix ans. Ceux qui n’évoluent pas le paieront plus tard. La réussite sportive a toujours quelque chose d’un peu cyclique. Mais plus nous augmenterons nos ressources et plus nous garantirons les succès futurs. Pas pour cinq ans. Mais pour cinquante ans. A Milan, gagner des titres est essentiel. Et cela ne changera pas. Je ne peux pas vous dire : telle année, nous regagnerons la C1. Mais notre objectif est de redevenir un club qui peut la remporter chaque saison ».

Après vingt-six-années, la famille Berlusconi a-t-elle encore envie d’investir dans le club ?

« Oui. Nous voulons, dans cette période difficile, soutenir le Milan. Et surtout le faire grandir. Si, pour y parvenir, il faut investir, je peux vous assurer que nous répondrons présent ». 

 

Vendre est aussi une option ?

« D’une manière générale, il ne faut jamais rien exclure. Aujourd’hui, nous ne souhaitons pas céder le club. Mais nous ne sommes pas fermés à une participation extérieure, un partenariat qui permettrait d’augmenter le chiffre d’affaires. Cela peut, par exemple, concerner la rénovation du stade ou un projet commercial dans des pays émergents ». 

L’affluence à San Siro, cette saison, a considérablement baissé (-20% en Championnat par rapport à la saison dernière, 40 422 spectateurs de moyenne pour un stade de 80 000 places). Des supporters ont exprimé leur colère après les départs d’Ibrahimovic et de Thiago Silva…

« Je les comprends : eux vivent le foot dans l’instant. Les supporters sont nos clients les plus importants. Nous devons leur faire comprendre que le chemin pris aujourd’hui est le seul possible et surtout celui qui leur donne le plus de garanties. Et puis, les grands champions, on peut aussi les fabriquer à la maison. Nous avons renoncé à Ibrahimovic mais nous avons trouvé avec El Shaarawy un jeune talentueux, qui représente parfaitement le club; il a les pieds sur terre. Le public peut s’identifier à lui. Attention, cela ne veut pas dire que nous ne prospectons plus pour acheter un grand champion. Mais notre idée générale va désormais dans une autre direction : il faut faire mûrir nos jeunes et construire l’équipe à partir d’eux ».

El Shaarawy s’était déjà montré prometteur la saison passée. Pour vous, c’était le bon moment pour vendre Ibra ? 

« Disons que nous avons saisi une bonne occasion avec cette offre du PSG qu’il était impossible de refuser. Perdre un joueur de grande qualité est toujours désagréable. Mais c’est comme ça… un champion s’en va ? Nous en fabriquons un autre ».

 

Mais pour remplir un stade, vendre des maillots et des produits dérivés, et donc augmenter vos ressources propres, perdre des grands joueurs comme Ibrahimovic n’est-il pas un frein ?

« Ca dépend de la stratégie adoptée. Le Real Madrid, par exemple, sait très bien vendre ses produits en utilisant l’image des champions. Le symbole de l’équipe peut aussi être quelqu’un de moins connu au plan international mais qui plait à tes supporters. D’après nos études, c’est surtout la crise économique qui pèse aujourd’hui sur nos ventes en Italie. Je ne peux pas vous donner les chiffres mais oui, nous vendons moins de maillots que la saison passée. En revanche, il n’y a pas de baisse à l’étranger. C’est important ».

Mais, sans tete d’affiche, comment convaincre les gens de revenir au stade et d’acheter des maillots ?

« Regardez la Juventus. Je ne connais pas leurs chiffres de merchandising, mais ce club plait, attire. Et pourtant, dites mois quelq grands champions a aujourd’hui la Juve ? Pirlo, peut-être… Notre politique porte beaucoup sur la marque Milan. Nous allons publier, dans quelque jours, un livre sur l’histoire des maillots du club. Nous ne le faisons pas cette année par hasard. Nous voulons faire passer une idée forte. Les champions sont très importants, mais ils vont et viennent. Quel est le véritable emblème du club ? Le maillot. Et pour le supporter, il doit être plus important que le joueur phare du moment. La valeur de fond, c’est la marque ».

 

 

Vous défendez l’idée d’une équipe maison construite avec des jeunes qui auraient grandi à Milan. Vous pensez pouvoir imiter le modèle du Barça ?

« Le Barça n’est pas le seul modèle. Il y’a eu l’exemple de l’Ajax. Manchester United a aussi fabriqué de nombreux champions, puis les a vendus pour des sommes astronomiques. Quand je parle de fabriquer le champion à la maison, cela ne veut pas seulement dire dans notre centre de formation. El Shaarawy n’en vient pas. Mais on l’a acheté assez jeune et nous le faisons murir. Nous avons l’expérience pour faire exploser des talents ».

Ce choix de la jeunesse est-il un argument pour essayer de convaincre Josep Guardiola de rejoindre le club la saison prochaine ?

« On ne réfléchit pas encore à cela ».

Votre père a pourtant dit qu’il espérait sa venue.

« Je ne commente pas les questions sportives. D’autres gens au club en ont la charge ».

Mais, pour l’image du Milan que vous défendez, ce serait un beau renfort. Un entraineur jeune, célèbre…

« Oui, une opportunité qui s’adapte bien au projet est toujours bienvenue ».

Le championnat italien était le premier d’Europe il y’a quelques années. Aujourd’hui, l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne sont bien plus attractifs. Comment l’expliquez-vous ?

« La principale raison, à mon avis, c’est le manque de solidarité entre nos clubs. Souvent, nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord pour prendre des décisions importantes qui favoriseraient l’ensemble de notre système. Et cela nous pénalise. Il suffit de regarder la Premier League. Là bas, la Ligue est très forte, elle a fixé des règles qui s’appliquent à tous et surtout elle sait très bien vendre le produit foot anglais à l’étranger. Nous, nous n’arrivons pas à nous unir pour nous vendre et porter un projet qui nous aiderait tous. C’est le cas, par exemple, pour la loi sur les stades qui n’est toujours pas votée en Italie. Nos stades sont vieux, dépassés, et nous restons à l’arrêt. »

Vous pourriez lancer un appel à l’unité…

« Je suis dans le foot depuis à peine deux ans… Parfois, c’est un monde un peu fermé sur lui-meme. Il gagnerait pourtant à s’ouvrir à des professionnels d’autres secteurs. On commence à voir, dans certains clubs, un directeur du marketing venu d’une grande entreprise normale et qui apporte des idées nouvelles pour développer les ressources. Les gens qui travaillent dans le foot ne comprennent pas toujours que tout ne s’arrête pas au match. sur le plan commercial, sur le plan des services, on doit faire vivre le club tous les jours et faire en sorte que les supporters ressentent leur appartenance au club au quotidien, sur les réseaux sociaux, chez eux, dans les magasins… Partout. On pourrait tellement mieux exploiter le secteur foot. J’ai lu récemment une étude sur l’économie du divertissement en Italie : les entrées au cinéma, au théâtre, à l’opéra sont en baisse. Le foot est en hausse, comme les musées ». 

 

 Mais le sport n’est pas tout à fait un spectacle comme les autres. Vous ne pouvez pas écrire le scénario à l’avance. Vous pouvez perdre, etre relégué…

« Quand on produit un film, il y’a aussi de l’incertitude, on ne sait pas s’il marchera dans les salles, si les critiques aimeront. Nous, nous avons deux à trois fois par semaine le problème du match qui peut changer beaucoup de choses. Les résultats sont très important bien sur. Mais regardez Arsenal, on ne peut pas dire que ce club a accumulé les titres récemment. Mais il a un stade magnifique, toujours plein, car il donne du spectacle à ses supporters. Il les chouchoute meme en leur proposant de nombreux services. Il leur montre qu’il les aime ».

Arsenal est-il devenu un modèle pour Milan ?

« C’en est un, oui. Comme Manchester United et surtout le Bayern. Je regarde ces clubs avec admiration. Parce qu’ils tiennent debout tout seuls, avec leurs propres ressources. Le Bayern est le meilleur des modèles. Même une saison manquée sur le plan sportif ne lui cause pas de dommage financier. On sait bien qu’on ne peut pas être au sommet chaque année. Et puis, tous les championnats ne sont pas égaux. En Espagne, le Real et le Barça sont quasiment assurés, chaque année, d’aller en Ligue des champions car, derrière eux, il n’y a presque personne. En Italie, nous luttons, tous les ans, pour aller en C1 et ne pas y aller a des conséquences sur le chiffre d’affaires ».

 

Et cela risque de vous arriver la saison prochaine.

« Eh bien l’Inter, cette saison, ne la joue pas. Non ? Si on se structure bien, en ayant conscience des difficultés qui peuvent se présenter année après année, on deviendra plus flexible pour les affronter ». 

Vous seriez favorables à des compétitions fermées comme aux Etats Unis, sans risque de descente ou de non-qualification ?

« Cela nous aiderait tellement… Mais je ne pense pas que ce soit faisable aujourd’hui en Europe. La logique américaine est si différente et se base aussi sur un vivier universitaire qui n’existe pas ici. Mais on doit réduire l’incidence des résultats sportifs sur les résultats économiques ». 

Une de vos priorités est de diminuer la masse salariale.

« Oui, la part des salaires dans le chiffre d’affaires des clubs est trop forte. Nous travaillons pour la réduire considérablement. A l’avenir, pour garder des finances saines, les clubs devront veiller à ce que la masse salariale n’excède pas 50% du chiffre d’affaires. C’est ce que nous avons fait. La saison précédente, cette part atteignait, chez nous, 70% ».

Les salaires des joueurs sont aujourd’hui trop élevés, selon vous ?

« La concurrence entre les clubs est à l’origine de cette situation. Aujourd’hui, le foot génère un énorme chiffre d’affaires. Ceux qui y travaillent s’enrichissent, mais pas les clubs. Il est temps de rééquilibrer les choses ».

Le défenseur français Philippe Mexès qui a trente ans et le salaire le plus élevé du club (4 millions annuels bruts jusqu’en juin 2015) n’entre plus dans le projet du club que vous nous décrivez ?

« (Long silence). Les conclusions, vous les tirerez vous-même de tout ce que j’ai dit. Mais je ne commente pas le sportif. »

 

Vous connaissez Loic Féry ?

« Non. Qui est-ce ? »

Le plus jeune président de L1 (38 ans). Il possède le club de Lorient et une société de gestion d’actifs à Londres. Comme cela se pratique dans d’autres clubs, il utilise, pour ses joueurs, un système de rémunération semblable à celui des traders. Une part fixe relativement faible et une part variable, plus importante, selon les résultats.

« C’est, à mon avis, un système très efficace. Et j’y pense, lorsque je parle d’etre flexible pour s’adapter aux aléas. Le fait d’avoir une masse salariale fixe moins forte et des primes plus élevées permet d’équilibrer les comptes plus facilement, meme lorsque la situation sportive se dégrade »

Si on suit vos idées, le PSG d’aujourd’hui fonctionne selon un modèle passé de mode.

« Non, non, je n’ai pas dit cela. Ce qu’est en train de faire le PSG, c’est une relance du club. Et là, il faut des ressources extérieures. Mais une fois que le PSG aura stabilisé sa situation, il pourra entamer la même démarche que nous ».

 

Vous le voyez déjà comme un concurrent ?

« C’est un rival puisque il dispute, comme nous, la Ligue des champions. Mais, pour arriver aux résultats de Milan, je crois que le PSG va devoir encore beaucoup travailler (elle éclate de rire)… Je lui souhaite de réussir, en tout cas ».

Vous enviez sa puissance financière actuelle ?

« Non. Pourquoi devrions nous envier le PSG ? Nous n’envions personne. Nous sommes le club le plus titré au monde. Aujourd’hui, j’ai juste de l’admiration pour des clubs comme le Bayern qui ont vraiment su créer un système économique vertueux ».

Vous investissez ainsi dans le club parce qu’il s’agit de l’agent de votre famille ?

« Ah oui ! Je suis actionnaire. Et c’est mon intérêt que les choses fonctionnent bien »

Vous pourriez, dans les années qui viennent, succéder à votre père à la tete du club ?

« Pour le moment, on ne peut absolument pas le prévoir. De toute façon, ce n’est pas tant mon poste qui compte que ce que je réalise ».

En tout cas, il semble vous écouter sur la stratégie à suivre…

« Il sait écouter, oui. Même lorsque il s’agit de sa fille (elle rit). Nous échangeons beaucoup en fait. L’autre jour, il m’a fait rire. Lors d’une interview sur Milan Channel, on lui a demandé quels conseils il me donnait. Il a répondu : « Vous savez, celle-là, elle a un sacré caractère. C’est plutôt elle qui me donne des conseils. »

 

L’ensemble de l’interview est disponible en kiosques dans l’édition du lundi 10 décembre de L’Equipe.

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